L’or continue de quitter illégalement la République démocratique du Congo (RDC) chaque année. Les concessions aurifères de l’Est du Congo sont parmi les plus riches d’Afrique. Les pays voisins, comme l’Ouganda et le Rwanda, n’ont, eux, pratiquement aucune réserve en or qui leur soit propre. Pourtant, les intermédiaires des compagnies internationales y achètent de l’or: l’or congolais acheminé clandestinement dans ces pays. C’est ce qu’avait mis en évidence l’organisation Human Rights Watch, dans un rapport intitulé Le fléau de l’or, publié en 2005 déjà.
Transit par l’Ouganda
Peu de choses ont finalement changé depuis la publication de ce rapport, il y a presque trois ans. Il a montré comment des groupes armés locaux s’affrontaient pour le contrôle des mines d’or et des voies commerciales. Ces mêmes groupes ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité en utilisant les profits tirés de l’or pour financer leurs activités et acheter des armes. Le conglomérat minier international AngloAmerican, une entreprise minière de premier plan, a développé des liens avec des groupes armés pour l’aider à accéder au site minier riche en or situé en Ituri, au nordest du pays. L’or souillé transitait via l’Ouganda voisin et était ensuite expédié vers les marchés mondiaux de l’or en Europe. Les compagnies occidentales n’ont pas renoncé à l’achat d’or entaché de sang. Le chercheur et ethnologue suisse Gilles Labarthe, qui vient de publier un livre intitulé L’or africain. Pillages, trafics et commerce international, démontre que la poursuite des conflits en RDC, en particulier dans les provinces du Nord et Sud-Kivu, a permis aux grands groupes d’agir en sous-main via des intermédiaires répartis dans cette région. Selon le chercheur, ces conflits interminables démontrent que les multinationales n’ont jamais cessé d’agir pour rentabiliser leurs activités au niveau mondial.
Traçabilité
Gilles Labarthe propose d’appliquer le principe de traçabilité comme celui qui est en vigueur dans le commerce du diamant pour évaluer la quantité d’or en provenance de RDC. En janvier 2006, le Groupe d’experts de l’ONU sur la RDC avait d’ailleurs déjà recommandé un système de dépistage qui permettrait de remonter jusqu’à l’origine des métaux précieux. Sur la base de cette recommandation, une coalition d’ONG, dont Amnesty International faisait partie, s’est adressée au Conseil fédéral en mars 2006 en lui demandant de s’engager avec d’autres Etats et acteurs concernés pour « explorer la possibilité de développer des processus similaires au processus de Kimberley pour d’autres matières premières qui sont à l’origine d’un conflit armé ou qui en permettent la prolongation ». Pour l’instant, c’est en effet l’opacité totale. Les importations suisses d’or sont classées « données sensibles ». Le gouvernement fournit uniquement le montant total d’or qu’il importe et exporte chaque année, sans répartir ces montants selon les pays d’origine. Il ne divulgue pas non plus le nom des entreprises impliquées basées en Suisse, ni les quantités d’or qu’elles importent ou exportent.
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Les entreprises suisses et l’or ougandais
Le rapport de Human Rights Watch et plusieurs rapports de l’ONU ont mis en cause le groupe Metalor, basé à Neuchâtel, et la société Argor Heraeus SA, basée au Tessin, pour leur commerce avec l’or importé d’Ouganda. Accusées d’acheter de l’or sale, les deux entreprises ont publiquement affirmé ne plus vouloir acheter ou traiter de l’or en provenance d’Ouganda. Mais il n’existe aujourd’hui aucune assurance que ces entreprises ou d’autres encore ne se fournissent plus en or «souillé» en utilisant d’autres chemins. Ni les banques suisses ni les raffineries n’estiment être responsables de la provenance de l’or. Gilles Labarthe cite le cas de la banque UBS, dont le siège est à Zurich, qui achète l’or à Metalor et à Argor: la banque a renvoyé le journaliste aux deux entreprises qui la fournissent en or pour toute information sur sa provenance. Les entreprises actives dans le domaine des métaux précieux ont un réseau international d’opérateurs et de nombreuses plates-formes d’évaluation. Une de ces dernières est basée à Genève, dans la zone franche suisse autour de l’aéroport, où les opérations s’effectuent hors du contrôle du gouvernement suisse. Les biens qui entrent dans cette zone ne sont ni enregistrés, ni imposés et sont expédiés vers d’autres lieux sans taxe à l’exportation. Sur la base des statistiques du commerce extérieur ougandais contenues dans le rapport de Human Rights Watch publié en 2005, plus de 70% de l’or exporté d’Ouganda était destiné à la Suisse. Pourtant, les chiffres avancés par Berne à l’époque sont étrangement bas: les importations d’or en provenance d’Ouganda, en 2002 et 2003, n’auraient atteint que treize millions de dollars. En comparant le total des importations suisses en provenance d’Ouganda avec le total des exportations ougandaises à destination de la Suisse pour les années 2001 à 2003, Human Rights Watch a mis en évidence d’importants écarts (77 millions de dollars en 2001, 57 millions en 2002 et 44 millions en 2003). Comme si une partie des exportations ougandaises à destination de la Suisse s’étaient volatilisées, sans doute parce qu’elles ont transité via les zones franches. La Suisse possède seize ports francs répartis près des aéroports, vers les frontières. Ce sont précisément ces zones qui posent problème pour la traçabilité des diamants par exemple. Pour les quatre années suivantes (de 2004 à 2007), les échanges commerciaux entre la Suisse et l’Ouganda restent considérablement plus importants, selon les experts ougandais relayés par différentes organisations non gouvernementales présentes en RDC.