Un paysage uniforme et monotone: 2,6 millions d’hectares sont passés à la culture intensive du soja génétiquement modifié. © Reto Sonderegger
Un paysage uniforme et monotone: 2,6 millions d’hectares sont passés à la culture intensive du soja génétiquement modifié. © Reto Sonderegger

MAGAZINE AMNESTY Paraguay Une industrie qui enlève le pain de la bouche

Article paru dans le magazine AMNESTY, n°53, publié par la Section suisse d’Amnesty International, mai 2008.
Le jeune paysan bio Reto Sonderegger se bat depuis une année aux côtés des paysan·ne·s du Paraguay contre leur marginalisation et la destruction de la nature. L’exemple paraguayen est significatif des effets sociaux et écologiques de l’industrie agraire globalisée.

Ces dernières décennies, dans bon nombre de pays d’Amérique latine, l’industrie agraire globalisée a enlevé à des centaines de milliers de petit·e·s paysan ·ne·s et à des communautés indigènes les bases de leur économie de subsistance. Le Paraguay n’est qu’un exemple parmi d’autres. Le Suisse Reto Sonderegger y vit depuis mars 2007. Ces douze dernières années, plus de 2,6 millions d’hectares sont passés à la culture intensive du soja génétiquement modifié. « Les pesticides ont empoisonné les sols, l’eau, les forêts sur de vastes étendues », déclare Reto Sonderegger.

Profits et exils

Le président Alfredo Stroessner, qui a dirigé le pays d’une main de fer entre 1954 et 1989, a jeté les bases pour les immenses monocultures. Dans le cadre de la réforme agraire des années soixante, il a distribué plus de douze millions d’hectares à sa famille et à ses amis militaires, politiciens ou hommes d’affaires. « Aujourd’hui, la couche sociale la plus favorisée (1% de la population) possède les trois quarts des terres », déclare le jeune paysan bio. Les grandes multinationales comme Monsanto et Syngenta, qui approvisionnent les paysan·ne·s en pesticides et en engrais, font des profits mirifiques grâce à la culture du soja transgénique. Les colons brésiliens, qui représentent près de 80% des paysan·ne·s cultivant le soja transgénique, ont également profité de ce business. Le Paraguay est pourtant doté de lois progressistes en matière de protection de l’environnement, mais elles sont simplement ignorées par les paysan·ne·s qui cultivent le soja et par les autorités. Les manifestations contre l’utilisation intensive des pesticides ont plusieurs fois été réprimées par la violence. Des centaines de milliers de paysan·ne·s se sont exilé·e·s vers les grandes villes ou dans les bidonvilles de Buenos Aires, où vivent actuellement trois millions de Paraguayen·ne·s.

Responsabilités

Les pays consommateurs ont aussi leur part de responsabilité. L’Union européenne importe à elle seule plus de vingt millions de tonnes de soja transgénique d’Amérique latine pour l’alimentation des porcs, des poules, des vaches ou pour la fabrication d’additifs alimentaires. L’agriculture suisse importe 250’000 tonnes par an. « Depuis que la farine animale est interdite, l’importation du soja a explosé. Par contre, on brûle les cadavres d’animaux dans les cimenteries », commente Reto Sonderegger. La dernière aberration de l’industrie agraire globalisée est liée au développement des biocarburants : ils doivent aider l’Occident à sortir de la crise énergétique et, dans le même temps, ils aggravent la situation des petits paysan·ne·s dans les pays producteurs. Déjà avant d’être un cultivateur biologique, le jeune paysan avait observé de manière critique les effets de la globalisation sur la culture traditionnelle. La mobilisation, lors de la conférence de l’OMC en 1998, l’a définitivement décidé à se lancer dans une formation de paysan. Reto Sonderegger explique ainsi son choix : « Je voulais trouver un moyen de vivre qui ne pèse ni sur la nature ni sur les gens du Sud. Il m’a semblé que l’agriculture biologique était une solution adéquate. » Pendant sa formation, il a travaillé dans de nombreux domaines biologiques suisses. En janvier 2006, le jeune paysan voyage pour la première fois dans les «Républiques unies du Soja»: l’Argentine, le Paraguay et le Brésil. A son retour, il abandonne après six mois les études d’agronomie qu’il avait commencées à Zollikofen. Son amie, la biologiste Javiera Rulli, qui étudiait l’impact des monocultures de soja sur les petites communautés paysannes au Paraguay, n’est pas étrangère à cette décision.

Alternatives

Pour Reto Sonderegger, il ne s’agit pas seulement de lutter contre les multinationales de l’agroalimentaire : « J’aimerais surtout montrer que des alternatives sont possibles. » Il voyage pour transmettre son savoir sur la culture durable aux associations paysannes.

Il leur donne des conseils pour diversifier leurs cultures et améliorer leurs moyens de subsistance. « Pour arriver à des changements positifs, il est important que les personnes soient conscientes de leurs propres forces », déclare-t-il. C’est pourquoi il soutient aussi les petit·e·s paysan·ne·s pour qu’ils s’organisent et puissent s’opposer à l’exploitation par l’Etat, les grand·e·s propriétaires terrien·ne·s ou les entreprises agroalimentaires.

Le jeune paysan suisse cherche également à sensibiliser les pays du Nord à cette problématique de la globalisation de l’industrialisation de l’agriculture. En Suisse, il est devenu un orateur demandé sur cette question. «La seule chose qui nous manque encore, c’est l’argent», plaisante Reto Sonderegger, qui a financé lui-même une grande partie de son projet. Cet engagement commence à porter ses fruits. Plusieurs événements encourageants ont récemment eu lieu. Le rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, en demandant un moratoire sur le biocarburant, a porté cette thématique à l’agenda international. Au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, les représentants de la société civile paraguayenne et Reto Sonderegger ont fait pression pour que la délégation officielle doive répondre à des questions critiques sur la situation des droits humains. Mais surtout, le 20 avril dernier, l’ex-évêque Fernando Lugo, candidat de la coalition de gauche, a officiellement été élu président du Paraguay, mettant ainsi fin à plus de soixante ans d’hégémonie du parti Colorado. Il a toujours soutenu les revendications des paysan·ne·s paraguayen·ne·s.