Les gouvernements qui ont beaucoup investi dans les agrocarburants, comme le Brésil et les Etats-Unis, minimisent l’impact que cela a pu avoir sur la crise alimentaire qui secoue la planète. Pourtant, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et le Fonds monétaire international (FMI) affirment clairement que la culture des agrocarburants est un des facteurs importants qui a contribué à cette crise.
On parle aujourd’hui d’une nouvelle «ère de la faim». Dans de nombreux pays d’Asie, où, jusqu’à présent, trois quarts du revenu familial étaient consacrés à acheter de la nourriture, la hausse des prix alimentaires a poussé les gens dans la misère. Plus de cent millions de personnes, estime la Banque mondiale. Huit cent cinquante millions de personnes dans le monde souffrent de sous-alimentation.
Un rapport qui dérange
Un rapport du FMI établit que la culture des agrocarburants est responsable à 75% de la hausse des prix alimentaires entre 2002 et 2008 et est donc la principale cause de la crise mondiale. Le quotidien britannique The Guardian a révélé, début juillet, les conclusions de ce document finalisé en avril, dont la publication aurait été différée pour ne pas embarrasser le gouvernement de George W. Bush. La demande au niveau mondial en maïs, blé, soja, betterave à sucre ou huile de palme aurait donc explosé ces dernières années car les gouvernements et les multinationales utilisent ces ressources pour produire de l’énergie au lieu de remplir les assiettes.
La culture de ces plantes s’est transformée en un marché juteux car les Etats ont accordé subventions et exonérations d’impôts pour l’encourager. Les pays producteurs y consacrent chaque année onze à douze milliards de dollars, selon Jacques Diouf, directeur de la FAO. Pour les Etats-Unis et le Brésil – plus grands producteurs de bioéthanol –, pour l’Union européenne – plus grand producteur et consommateur de diesel végétal – et pour l’Indonésie et la Malaisie – leaders sur le marché du diesel végétal issu de l’huile de palme –, les agrocarburants représentent désormais un des moteurs de leur économie. De puissantes alliances entre les industries pétrolières et biotechnologiques, les groupes agroalimentaires, de grands propriétaires terriens et des investisseurs, permettent de réaliser des profits mirifiques sur ces nouveaux marchés.
La terre et l’eau
Toujours plus de gouvernements africains, latino-américains ou asiatiques voient dans la culture des agrocarburants une chance à saisir. Ils s’allient avec les investisseurs internationaux et les multinationales au détriment de leurs petits paysans et de leur population indigène. Chassées de leurs terres en Malaisie ou au Brésil, privées de l’eau qui servait à arroser leurs cultures vivrières en Colombie et au Paraguay, endettées jusqu’au cou en Inde et dans certains pays africains, les populations locales paient un lourd tribut aux agrocarburants.
Selon l’organisation Via Campesina, plusieurs millions de personnes auraient été chassées de leurs terres au Brésil, en Colombie et en Indonésie pour faire place à ces nouvelles cultures. Au Paraguay, les petits paysans qui possèdent encore des terrains à côté des grandes monocultures d’agrocarburants manquent d’eau et n’ont plus accès aux forêts qui pourvoyaient auparavant à leurs besoins.
L’eau et les sols ont été pollués par les produits chimiques. Des dizaines de personnes ont été mortellement empoisonnées et des centaines d’autres souffrent d’empoisonnement chronique.
Certains petits paysans ont cru que les agrocarburants allaient les sortir de la misère. Ils se sont engagés à livrer leur production ou ont vendu leur terre à de grands investisseurs pour pouvoir nourrir leur famille. Certains se sont endettés, d’autres ont rejoint les bidonvilles des grandes villes, d’autres encore se sont engagés dans les grandes plantations où ils travaillent dans des conditions proches de l’esclavage.
Un moratoire
Suite à ces événements et aux dernières révélations sur le rôle des agrocarburants dans la crise alimentaire mondiale, l’opinion publique est devenue toujours plus critique. Des demandes de moratoire se font désormais entendre dans le monde entier.