Le 10 décembre 1948, cinquante-six Etats membres des Nations unies sont réunis à Paris et adoptent, avec huit abstentions, la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH). Les dirigeants du monde font alors preuve d’une volonté politique extraordinaire, sans doute influencés par les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Mais leur vision ne se limite pas au seul contexte européen : l’année 1948 a été marquée par l’assassinat du Mahatma Gandhi et l’instauration de l’apartheid en Afrique du Sud. De vastes parties du monde subissent encore le joug de la colonisation.
Le texte a été rédigé par Eleanor Roosevelt, la veuve du président américain, avec un groupe d’expert·e·s de Chine, du Liban, de France et du Canada. Ces auteur·e·s ont résisté à toutes les pressions politiques et réussissent à imposer l’indivisibilité des droits humains: il n’y a pas de hiérarchie des droits dans la DUDH. Tous les droits, aussi bien civils, politiques, économiques que sociaux, figurent sur le même plan.
Pour la première fois dans l’histoire, les victimes de violations des droits humains obtiennent la possibilité de revendiquer leurs droits au niveau international, contre leur propre Etat. Les droits humains deviennent ainsi un élément central des relations internationales et obtiennent une reconnaissance universelle. Mais en 1948, la DUDH n’est encore qu’un papier d’intention. Il faut encore attendre presque trente ans pour que les pactes, qui fixent ces droits au niveau juridique, entrent en vigueur, en 1976, après avoir été ratifiés par trente-cinq Etats. Aujourd’hui, cent cinquante des cent nonante deux Etats membres de l’ONU ont ratifié les deux pactes.
Des progrès…
La fin de la guerre froide a fait renaître un espoir pour les droits humains. Dans les années 80 et 90, plusieurs conventions sont entrées en vigueur, notamment la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention contre la torture ou la Convention des droits de l’enfant. Des instruments efficaces qui permettent une meilleure application des droits humains. D’autres progrès ont été faits en soixante ans: cent trente sept Etats ont aujourd’hui aboli la peine de mort, dans la loi ou dans la pratique. Et en 2002 a été créée la Cour pénale internationale à La Haye, pour juger les crimes particulièrement graves, comme les crimes de guerre ou les crimes contre l’humanité.
… et des défaites
Mais l’histoire des droits humains n’est pas que l’histoire d’espoirs, c’est aussi celle des déceptions. La communauté internationale n’a par exemple pas réussi à empêcher les génocides en ex-Yougoslavie et au Rwanda. Au Darfour, le gouvernement soudanais mène depuis plus de cinq ans une guerre contre sa propre population : des centaines de milliers de personnes ont été tuées, des millions déplacées, et le Conseil de sécurité, miné par les intérêts de certains Etats, peine à prendre des décisions qui améliorent réellement la situation.
L’attentat du 11 septembre 2001 contre les tours du World Trade Center à New York a été un coup dur pour les droits humains. La « guerre contre le terrorisme» lancée alors par le gouvernement étasunien a entraîné de graves violations des droits humains, comme la légalisation de méthodes de torture, les « disparitions » ou la création du camp de Guantánamo, en dehors de tout droit. Dans le monde entier, les droits fondamentaux ont été sérieusement restreints sous prétexte de combattre le terrorisme.
La Suisse à la traîne
Ces dernières années, la Suisse s’est plusieurs fois illustrée pour son engagement en faveur des droits humains au niveau international. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Notre pays a signé les conventions internationales très tard, et souvent avec hésitation. Il a par exemple été le dernier des Etats membres du Conseil de l’Europe à ratifier la Convention européenne des droits de l’homme, en 1974. Et il a même fallu attendre 1987 pour que la première convention des Nations unies entre en vigueur en Suisse, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Aujourd’hui, soixante ans après l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme, les instruments pour la protection de ces droits sont nombreux. Ce qui manque toujours, c’est leur application efficace et durable. Il est temps d’utiliser enfin ces normes juridiques pour rendre réelle la vision présente dans la DUDH. Cette déclaration a toujours la même signification qu’en 1948, comme le souligne l’archevêque Desmond Tutu: « Il est temps de redécouvrir la Déclaration universelle des droits de l’homme, de façon à ce que chacun d’entre nous respecte ces principes fondamentaux dans sa vie quotidienne.»