«La prochaine fois que je viendrai en Suisse, je viendrai avec mon mari, Masood. On en profitera pour visiter à nouveau votre magnifique pays. On avait tellement aimé la Jungfrau, lors de notre première visite. » Amina Masood Janjua en est persuadée : son mari est vivant et détenu dans un endroit secret. Les autorités pakistanaises finiront bien par le libérer et il pourra rentrer chez lui, retrouver sa femme et ses trois enfants. La vie recommencera alors comme avant.
Comme avant? Avant la «guerre contre le terrorisme» et son lot d’exactions. Avant le 30 juillet 2005, ce jour où Masood et un ami ingénieur, Faisal Faraz, ont «disparu» alors qu’ils se dirigeaient vers Peshawar en bus. Ils ont sans doute été arrêtés par les forces de sécurité pakistanaises, même si celles-ci nient les détenir, alors que des témoins les ont pourtant reconnus en détention. Imran Munir, un médecin qui avait lui aussi «disparu» et qui a été relâché par la suite, après de nombreuses tortures, a notamment écrit dans son journal qu’il avait parlé avec les trois détenus qui étaient en face de sa cellule, et que l’un d’entre eux s’appelait Masood Janjua. Ces hommes se trouvaient alors dans une prison souterraine, gérée par les services spéciaux de sécurité, à seulement trois kilomètres de la maison d’Amina.
563 disparitions forcées
La «disparition» de son mari a fait basculer la vie d’Amina Masood Janjua : « Je ne savais pas que les disparitions forcées existaient dans mon pays, avant que ça m’arrive à moi. » Très vite, elle s’active, écrit à toutes les autorités, court de la police à l’armée. En septembre 2006, elle commence une manifestation devant le Parlement, avec ses enfants, jour et nuit. En quelques mois, son mouvement est rejoint par les proches de quarante autres « disparu·e·s». Elle fonde alors l’organisation Defence of Human Rights et recense les cas de disparitions forcées. « Nous avons recensé 563 personnes ‘disparues’ au Pakistan, mais il y en a sans doute des milliers. Imaginez, si moi, sans bureau, sans aucune aide, je suis arrivée à en recenser 563, le chiffre réel doit être largement supérieur !»
L’organisation s’adresse en 2006 à la Cour suprême, qui se saisit du cas et commence à exiger du gouvernement des réponses sur le sort et le lieu de détention de Masood. L’espoir des familles grandit alors démesurément. Un espoir déçu le 3 novembre 2007, date à laquelle Pervez Musharraf, alors président, a proclamé l’état d’urgence et destitué illégalement la majorité des juges. Cette destitution a coïncidé avec les demandes de plus en plus insistantes de la Cour suprême qui voulait interroger des hauts responsables des services de renseignement… Les juges de la Cour suprême n’ont pas encore été rétablis dans leurs fonctions, malgré l’élection d’un nouveau président, Asif Ali Zardari.
«Pourquoi mon mari ?»
Suite aux révélations de Defence of Human Rights et aux déclarations de la Cour suprême, cent quarante personnes ont été libérées. Mais des centaines d’autres, dont le mari d’Amina Masood, restent en détention. Pourquoi elles? «Nous ne savons pas comment ont été ‘choisies’ les personnes qui sont détenues, parfois même des femmes ont été arrêtées, et même des enfants », relève la Pakistanaise. «Dans le cadre de la ‘guerre contre le terrorisme’, le gouvernement pakistanais devait montrer des résultats, il devait prouver à son allié, les Etats-Unis, qu’il avait trouvé des coupables. Mais même les Etats-Unis ne sont pas intéressés à savoir si les personnes arrêtées sont vraiment des terroristes.»
Les Etats-Unis qui ont d’ailleurs retiré à Amina Masood son visa pour entrer sur leur territoire, en septembre dernier, et ceci juste une heure avant qu’elle ne prenne l’avion à Genève. Elle avait rendez-vous avec des démocrates et des républicains, pour leur raconter son parcours et leur faire prendre conscience de ce qui se commet au Pakistan au nom de leur «guerre contre le terrorisme». Un programme jugé sans doute trop subversif par l’administration américaine… La Pakistanaise est donc rentrée chez elle, mais elle ne baissera pas les bras: «J’irai me battre au ciel si nécessaire. Ce qui m’est arrivé peut arriver à n’importe qui, demain, dans un autre pays. Personne n’est à l’abri.»
Disparitions forcées, un fléau en recrudescence
Une personne est victime de disparition forcée lorsqu’elle est arrêtée, détenue ou enlevée par des agents de l’Etat qui nient ensuite détenir cette personne ou qui refusent de révéler où elle se trouve. La disparition forcée est un crime au regard du droit international. Or, dans de trop nombreux cas, les responsables ne sont jamais déférés à la justice. Les disparitions forcées ont été une constante dans l’histoire de la seconde moitié du XXe siècle, notamment en Amérique latine, où les dictatures militaires utilisaient cette pratique à grande échelle pour réduire les opposant·e·s au silence. Depuis 1980,plus de 50’000 cas de disparitions forcées ont été recensés par les Nations unies, bien qu’en réalité ce chiffre soit probablement bien plus élevé.Ces dernières années, dans le cadre de la «guerre contre le terrorisme»,les Etats-Unis ont procédé, parfois avec la complicité d’autres gouvernements, à la disparition forcée de personnes soupçonnées de terrorisme. En décembre 2006, les Nations unies ont adopté la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Ce traité vise à prévenir ces disparitions et, lorsque de tels crimes sont commis, à établir la vérité, à punir les responsables et à fournir réparation aux victimes et à leur famille. Parmi les traités adoptés par les Nations unies, ce texte est l’un de ceux qui vont le plus loin sur le plan des droits humains. Certaines de ses dispositions sont totalement nouvelles et introduisent des normes importantes.