Le rejet de la différence, il a décidé de le combattre après l’avoir vécu à son retour, enfant, d’Amérique latine. Une rencontre au refuge St-Amédée à Lausanne a déclenché son engagement. Il a été actif au sein de SOS-Asile Vaud et de divers mouvements cantonaux et nationaux créés au gré de l’actualité. Il exerce aujourd’hui comme avocat.
Amnesty: Le droit, devant la persécution, de chercher asile dans un autre pays et d’en bénéficier est-il respecté?
Christophe Tafelmacher : Pour une raison que je comprends à vrai dire mal, tous les pays européens et en particulierla Suisse s’accrochent à l’idée qu’ils doivent encore donner l’asile. En réalité, ils font tout pour le donner le moins possible, et discréditent systématiquement les requérant·e·s. Pour être cohérents avec leur pratique, les Etats devraient dénoncer la Convention de Genève, dire qu’on ne veut pas de réfugié·e·s et fermer leurs frontières. En Suisse, les autorités et le gouvernement ne veulent visiblement pas faire ce pas, mais sans pour autant modifier leur pratique anti-asile.
Notre pays accorde des statuts provisoires…
Qui ne sont justement pas l’asile. Depuis le début des années 90, il y a davantage de personnes qui ont des statuts précaires, comme l’admission provisoire, ou qui sont tolérées pendant des années malgré un délai de départ, que de personnes qui sont reconnues comme réfugiées. Cela signifie que la Suisse préfère maintenir des gens dans la précarité plutôt que de leur reconnaître un statut de protection international. Un choix qui n’a rien à voir avec les «qualités» des requérant·e·s. Ce qui a changé, depuis l’époque des boat people vietnamiens, c’est la pratique de l’Etat. Les statuts précaires donnent l’illusion de permettre un renvoi rapide. Les conséquences psychiques sont désastreuses.
Quel devrait être l’objectif fondamental d’un régime d’asile européen commun?
Il faudrait supprimer les entraves de l’entrée en matière et les systèmes de détention administrative, parce que ces éléments ne font que porter atteinte aux droits humains, se donner les moyens d’examiner de manière ouverte les demandes d’asile, puis soit aider les personnes à construire une vie ici, soit les aider à construire un projet de retour. En élargissant la procédure aux sans-papiers et aux travailleurs migrants: il faudrait un «droit d’être là», construire les droits non pas sur la nationalité mais sur la résidence. Opposer les nationaux aux étrangers en termes de droits est extrêmement dangereux.
Les mouvements en faveur des sanspapiers en France et en Belgique s’inscrivent dans cette idée?
Ces mouvements resurgissent régulièrement en France, en Espagne, un petit peu en Italie ou en Belgique parce que, dans ces pays, l’Etat réagit par des procédures de régularisation collective. Mais la problématique de la création de ces sanspapiers demeure. Tant qu’on n’arrive pas à reconnaître un besoin de l’économie et en tirer les conséquences au niveau des permis et des lois en général, on aura sans arrêt des sans-papiers. En Suisse, c’est pareil. Le système produit lui-même les sans-papiers qu’il dit vouloir combattre. Il ne les combat que faiblement et les laisse dans une situation de précarité absolue qui bénéficie aux gens qui les emploient.
Peut-on dire que l’Etat combat l’asile pour détourner l’attention de cette non-action?
Ce qui est sûr, c’est que la souveraineté des Etats est de plus en plus remise en cause. Le seul point où elle est laissée intacte, c’est l’immigration et l’asile. Il y a un enjeu symbolique pour la survie des Etats, et des questions bassement économiques. Votre hypothèse peut être considérée parce qu’il paraît plus simple d’agir sur l’asile : les personnes sont connues, et les requérant·e·s d’asile représentent des chiffres nettement plus modestes. Le cas vaudois des « 523 » dans le domaine de l’asile a débouché sur la régularisation de mille cinq cents à deux mille personnes au total. Les sans-papiers du canton, c’est quinze mille personnes.
Dans un monde globalisé, les mouvements de population ne vont pas cesser. Il est urgent de trouver des solutions.
Les recensements macabres aux frontières le montrent. Il y a un véritable désastre au niveau du respect des droits humains dans nos pays. Cela va même plus loin. L’asile et l’immigration ont joué un rôle de laboratoire pour mettre en place des techniques mettant en péril les droits des autres citoyens. Les méthodes utilisées avec les chômeurs ressemblent à s’y méprendre à celles utilisées dans l’asile. Ce qui m’inquiète en tant que juriste, c’est que la notion même de droits des pauvres disparaît. Il y a un flou soigneusement entretenu. Ces droits sont une jolie décoration, pas un outil d’action réelle.
Le droit d’asile, ancré dans la Convention des réfugiés
La mise en oeuvre de l’article 14 de la DUDH a été précisée dans la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés de 1951 et le Protocole relatif au statut des réfugiés de 1967. L’innovation principale de la Convention est d’apporter une définition individuelle et non plus collective du réfugié. Ainsi, sont des réfugié ·e·s les personnes situées hors de leur pays qui craignent avec raison d’être persécutées à cause de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social particulier ou de leurs opinions politiques et qui ne peuvent ou, du fait de cette crainte, ne veulent se réclamer de la protection de ce pays (Article 1 A-2). Le Protocole a élargi aux événements postérieurs à 1951 et ayant lieu dans le monde entier une définition d’abord expressément prévue pour la situation européenne d’avant 1951.Les Etats n’ont pas le devoir international d’accorder l’asile: ils sont uniquement contraints de ne pas refouler les requérant·e·s d’asile dans un pays où ils seraient persécutés.