MAGAZINE AMNESTY Les Etats-Unis sous-traitent la torture

Article paru dans le magazine Amnesty, publié par la section suisse d’Amnesty International, novembre 2008
Le 26 septembre 2002, Maher Arar, 38 ans, doit faire escale à New York. Il n’arrivera que trois cent septante-quatre jours plus tard chez lui, à Ottawa. Entre-temps, ce ressortissant canadien a été transféré en Syrie pour y être torturé sur mandat des Etats-Unis.

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Maher Arar a la poignée de main ferme, le regard franc. Mais aujourd’hui, il ne trouve plus de travail comme informaticien. Pour lui, il y a désormais un avant et un après 26 septembre. Des hommes en uniforme l’ont arrêté dans la file lors de son arrivée à l’aéroport JFK de New York. Ils l’ont photographié, ont pris ses empreintes digitales. La routine, disaient-ils. D’autres hommes lui ont posé des questions. Il a demandé un avocat. On lui a répondu qu’il n’avait pas ce droit puisqu’il n’était pas citoyen américain. Une semaine plus tard, après des heures et des heures d’interrogatoire, il a reçu une feuille de papier. Ces mots y étaient inscrits : « Nous sommes persuadés que vous êtes membre d’une organisation terroriste.» Comment sont-ils arrivés à cette conclusion ? Quelles sont les preuves ? « C’est secret. » Cette expérience a catapulté ce jeune père de deux petits enfants en enfer.

Torturé en Syrie

Maher Arar avait dix-sept ans quand il a quitté Damas, en Syrie, avec ses parents. A vingt et un ans, il a acquis la nationalité canadienne. La Syrie représentait l’incertitude alors que le Canada était la promesse d’une formation et d’une bonne situation. Maher Arar a étudié l’informatique et l’électronique. Spécialisé dans son domaine, il avait un travail qui payait bien. Mais depuis qu’il a été accusé de terrorisme, toutes ses demandes d’emploi restent sans réponse. Son seul tort était de connaître Abdullah Almalki, un autre ressortissant canadien d’origine syrienne qui vivait à Ottawa, suspecté d’avoir des contacts avec Al- Qaïda. Le fait qu’Almalki ait finalement aussi été innocenté est une autre histoire. « En Syrie, cela ne m’aurait pas étonné, déclare Maher Arar, mais aux Etats- Unis ? Avec un passeport canadien ? » Aujourd’hui, il est certain que Maher Arar a été transféré dans la redoutable prison syrienne de Far Falestin dans le seul but de lui arracher des aveux sous la torture. Depuis le début de la « guerre contre le terrorisme», la CIA a ainsi transféré illégalement de nombreuses personnes vers la Syrie ou l’Afghanistan.

Survivre

En 2006, l’enquête des autorités canadiennes conclut que « les autorités américaines ont très certainement pris la décision d’emprisonner Monsieur Arar et de le transférer en Syrie sur la base d’informations fournies par la Royal Canadian Mounted Police ». Maher Arar passera dix mois et dix jours dans une cellule souterraine de 85 centimètres de large et de 1,85 mètre de long sur 2 mètres de haut. Les coups ont commencé dès le deuxième jour. Ils succédaient aux interrogatoires qui duraient seize à dixhuit heures. Ce jour-là, il a pleuré. « Ils m’ont demandé si j’étais allé en Afghanistan. » Quand il disait que non, les coups redoublaient. Et toujours les mêmes questions sur Abdullah Almalki qu’il connaissait à peine. Il avait travaillé dans la même entreprise que son frère. Quand il a déménagé de Montréal à Ottawa, il a eu besoin d’une personne de contact qui puisse cosigner son bail. Comme le frère d’Abdullah n’avait pas le temps, c’est lui qui est venu. Déjà à New York, on avait présenté ce contrat à Maher Arar. A la prison de Far Falestin, Almalki était son voisin de cellule. «A la fin, tu es prêt à répondre n’importe quoi. De toute façon, ils ne s’intéressent pas à la vérité.» Maher Arar a dit qu’il était allé en Afghanistan et les hommes ont souri, contents. Lors des interrogatoires, il n’écoutait même plus les questions : « Tu ne réfléchis pas à la réponse que tu vas donner, mais à comment rester en vie», déclare-t-il.

Bataille

Au Canada, sa femme se démène pour le faire libérer. Le consul du Canada rend visite à Maher Arar à sept reprises sans que celui-ci n’ose lui parler des conditions de détention, de peur d’être à nouveau torturé. Finalement, il se décide à tout lui raconter en une minute, entre deux portes. Le consul lui demande alors s’il est paralysé. Cette question était complètement saugrenue car il venait de le voir marcher. Aujourd’hui, Maher Arar sait pourquoi il a posé cette question. On lui avait confié la tâche de prouver qu’il n’y avait pas de tortures. « Depuis que ma femme avait alerté les médias, les autorités canadiennes étaient en mauvaise posture. » Cinq jours plus tard, en août 2003, après avoir été contraint à signer des aveux, il est transféré dans une autre prison, à Sednaya. Le 5 octobre, il est libéré et s’envole le jour même pour le Canada. Il a perdu vingt kilos : « J’étais comme un chien. J’étais faible, soumis et complètement perturbé, émotionnellement et psychiquement. » Le 26 janvier 2007, après trois ans de tergiversations juridiques, Maher Arar a finalement été blanchi. Il a obtenu une compensation pécuniaire de 11,5 millions de dollars canadiens et des excuses officielles de la part du gouvernement canadien. Mais il est toujours interdit de séjour aux Etats-Unis, qui n’ont pas retiré son nom de leur liste de surveillance. Sa femme, Monia Mazighs, a écrit un livre sur son combat : Hope and Despair: My Struggle to Free My Husband, Maher Arar. réponse que tu vas donner, mais à comment rester en vie», déclare-t-il.

 


 

Le «noyau dur» des droits humains

L’interdiction de la torture est un des quatre droits fondamentaux appartenant au «noyau dur» des droits humains, avec le droit à la vie, l’interdiction de l’esclavage et de la servitude et le principe de la légalité et de la non-rétroactivité de la loi. Cela signifie qu’elle doit être respectée par les Etats en toute circonstance, même en cas de conflits et de troubles, et qu’aucune condition ou exception ne justifie l’utilisation de la torture. Les Etats n’ont pas le droit d’utiliser des aveux extorqués sous la torture pour condamner quelqu’un ni ne peuvent renvoyer une personne dans un pays où elle risque la torture. D’abord mentionnée dans la DUDH, l’interdiction de la torture a été reconnue dans de nombreux autres textes internationaux. Pourtant, de nombreux pays l’utilisent de manière régulière et systématique.