Ils ne cachent plus leur colère. Chaque fois que les Pygmées peuvent s’exprimer, voici les mots de leur indignation : « Nous sommes agressés chez nous, dans notre forêt. Les arbres abattus tombent sur nos maisons. Mais nous ne savons jamais pourquoi nous subissons ce mauvais traitement. » Ces populations estimées entre quarante mille et cinquante mille personnes et qui vivent principalement au Nord-Est de la RDC sont menacées par l’exploitation sauvage de la forêt, leur habitat légendaire. « Nous sommes devenus des déplacés d’une guerre menée en vue d’exploiter des arbres qui nous appartiennent depuis la nuit des temps. » Tels sont les cris de désespoir d’une minorité de la population congolaise désormais contrainte à la disparition.
Disparition possible
Pourtant, les Pygmées sont considérés comme les premiers habitants de l’ancien Zaïre. Suivant les régions, ils sont connus sous les noms de Bacwa, Batwa et Bambutti. Depuis très longtemps, ils vivent en général dans les forêts où ils pratiquent la chasse et la cueillette, à la base de leur alimentation. C’est là qu’ils trouvent des matériaux de construction ou des plantes médicinales.
Actuellement, la situation à laquelle les Pygmées sont confronté∙e∙s en RDC est particulièrement cauchemardesque. La plupart d’entre eux ne savent ni lire ni écrire et n'ont pratiquement pas accès à des soins de santé, une situation vivement critiquée par l’Ougandais Ernest Beyaraza : « Il faut absolument concevoir une politique d’intégration sociale, économique et politique en faveur de cette catégorie de la population. Sinon, elle va certainement disparaître de la région », estimait ce professeur de philosophie lors d’un forum sur la situation des Pygmées de toute la région des Grands Lacs, organisé par l’ONG Organisation mondiale des paysans/indigènes.
Un Etat amorphe
De nombreux groupes profitent de la guerre et de la faiblesse du gouvernement pour exploiter illégalement les forêts congolaises et autres richesses dont regorge le pays, occasionnant ainsi un manque à gagner inestimable et une perte de la biodiversité. Pour sa part, la population pygmée, traditionnellement liée au milieu forestier, est exclue du droit à la propriété. En effet, en attribuant de nouvelles concessions d’exploitation aux industries du bois, le gouvernement congolais dépossède ainsi des milliers de familles autochtones de leur logement et de leurs terres, ce qui aggrave encore leur extrême degré de pauvreté. Des informations concordantes font notamment état de femmes et d’enfants pygmées qui passent des journées sans manger, ce qui favorise la malnutrition.
Aucune réduction de la pauvreté
Pour un grand nombre d’observateurs et d’observatrices, la politique congolaise ne vise pas le développement du pays et l’amélioration des conditions socio-économiques de ces populations. Elle est plutôt, et même davantage, axée sur l’exploitation industrielle de la forêt, ce qui est notamment à la base de nombreux conflits entre les exploitants forestiers qui ne respectent pas les clauses de leurs cahiers des charges et qui ne contribuent en aucun cas à la réduction de la pauvreté. Le gouvernement congolais devrait au moins garantir des droits élémentaires aux Pygmées. Aujourd’hui, nombre de ces derniers n’ont ni logement, ni accès aux soins de santé, ce qui est de nos jours inconcevable pour un Etat signataire du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Population mise de côté
Commentant ce désastre humain, Kapupu Diwa Mutimanwa, président de plusieurs associations des peuples autochtones pygmées, exprime son exaspération : « Nous avons été mis de côté. C’est triste ! Nous sommes les premiers habitants de ce pays, mais nous sommes exclus de l’éducation et de la gestion des affaires publiques. Le paradoxe est que ceux qui nous font souffrir chaque jour par les guerres et les conflits égoïstes sont ceux-là mêmes qui se disent civilisés. »
Ces propos devraient attirer l’attention du reste de la population congolaise. Mais ce n’est pas vraiment le cas. En cherchant à savoir ce que pensent les Congolais•es vivant en Suisse sur la situation des Pygmées dans la guerre en cours, nombre des personnes interrogées étaient peu au courant des discriminations vécues par cette minorité.
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S’exprimant sur cette question, le pasteur congolais Roger Puati, réfugié établi à Lausanne, souligne que la situation est difficile pour tout le monde au Congo. Il note toutefois que le déplacement des populations perturbe davantage la vie des Pygmées. « Je ne saurais pas dire jusqu'à quel point cette partie de la population souffre, mais j'ai appris que dans le mouvement de ceux qui fuient, il y a un effet domino. Non pas que les fuyards soient violents, mais leur grand nombre modifie sensiblement la vie des populations de la forêt. » Selon lui, il faut que les politiques épargnent la haine des nations des Grands Lacs africains. « Ainsi, espère-t-il, la région sera viable pour tout le monde, Pygmées et autres communautés congolaises confondues. » Malheureusement, rien n’indique que la situation puisse s’améliorer dans l’immédiat. Les Pygmées vont donc continuer à souffrir. Dans une totale indifférence.