Il rit de bon cœur, Rachid Mesli. Dans son travail quotidien, pourtant, il n’y a guère de raisons de se réjouir. Mais Rachid est un homme qui ne se laisse pas abattre. Ce matin-là, dans les bureaux de son organisation, Al-Karama, à Genève, il se moque de lui-même parce qu’il a oublié d’allumer son téléphone portable. «Trop de stress», sourit-il. Car cet Algérien, réfugié en Suisse depuis l’an 2000, est un homme fort occupé. Il a créé Al-Karama il y a cinq ans, parce qu’il manquait une organisation qui défende les droits humains dans les pays arabes.
«C’est en Suisse que j’ai rencontré des Tunisiens et des Libyens qui avaient eu le même parcours que moi: détention arbitraire, torture, puis l’exil en Suisse», explique l’avocat. «On retrouve le même type de violations dans tous les pays arabes, car aucun de ces pays n’est une démocratie. Il est totalement exclu de fonder une ONG indépendante dans ces pays. Alors j’ai créé Al-Karama à Genève.»
L’organisation soumet des cas de disparitions forcées et de détentions arbitraires aux rapporteurs spéciaux de l’ONU et aux comités basés à Genève. Parfois avec succès: la pression internationale a fait que des personnes qui avaient «disparu» en Libye ont réapparu, ou qu’un professeur d’université, opposant en Arabie saoudite, a été récemment relâché. «Nous connaissons très bien les limites de notre action, mais l’espoir fait vivre», sourit Rachid.
Arrêté et torturé
Lui-même a passé par là et se souvient à quel point la solidarité internationale compte. En tant qu’avocat, il défendait des victimes de torture en Algérie. Il est arrêté en 1996 et accusé d’avoir « encouragé le terrorisme». Les autorités lui reprochent de fournir des informations aux organisations internationales, notamment à Amnesty International. La protestation de milliers d’individus à travers le monde n’empêchera pas qu’il soit torturé et détenu durant trois ans, mais au moins, Rachid Mesli n’a pas «disparu», comme tant d’autres.
A son arrivée en Suisse, avec sa femme et ses trois enfants, il lui a paru impossible de ne pas continuer à s’engager pour son pays. Puis lui est venue l’idée de travailler de façon plus systématique sur les «disparitions» dans les pays arabes. «Il existe un problème de perception des organisations internationales dans le monde arabe. C’est souvent dû au battage médiatique organisé par les gouvernements pour les discréditer. Amnesty International avait par exemple été présentée comme une organisation terroriste par un grand journal algérien, Liberté. Du coup, les avocats avec lesquels nous travaillons ont souvent plus de facilité à travailler avec une ONG arabe.»
Les gouvernements arabes, par contre, voient cette collaboration d’un très mauvais œil: «Toutes les personnes qui ont collaboré avec nous en Arabie saoudite ont été systématiquement arrêtées et interrogées. Et moi je ne peux pratiquement pas me déplacer en Europe, car le gouvernement algérien a lancé un mandat d’arrêt contre moi, via Interpol, en m’accusant d’être un terroriste.» Rachid Mesli raconte cela d’un ton presque badin. Il en faudrait plus pour le faire renoncer à son engagement.