© R. Asganizadeh
Le mouvement féministe iranien doit beaucoup à la revue Zanan (femmes), aujourd’hui interdite, qui s’est engagée depuis 1992 contre les traditions patriarcales et pour la reconnaissance des droits des femmes en Iran. Très mal vue du clergé, la revue ouvrait ses colonnes aux femmes des camps tant religieux que laïque, fédérant des points de vue qui avaient jusque-là paru inconciliables. La fondatrice de Zanan, Shahla Sherkat, est une islamiste convaincue qui n’apparaît jamais en public sans son voile, même hors des frontières de l’Iran. Très impliquée dans les mouvements de lutte contre le régime du Shah dans les années 1970, cette psychologue s’est retrouvée du côté des vainqueurs de la révolution et a aussitôt été nommée à la direction de la revue étatique Zan-e ruz. Le désenchantement n’a pas tardé. Comme nombre de ses compagnes de lutte, Shahla Sherkat avait cru que le nouvel ordre social libérerait les femmes. Mais la révolution avait d’autres priorités: la guerre contre l’Irak battait son plein et les droits de la femme n’étaient plus à l’ordre du jour.
Alliance inattendue Lorsque Shahla Sherkat s’est rendu compte que les anciens révolutionnaires s’accommodaient fort bien du système patriarcal, elle a quitté Zan-e ruz et cherché à s’allier avec l’autre grande figure du féminisme iranien, Mehrangiz Kar. Cette juriste n’était pas en odeur de sainteté auprès des mollahs car une photo d’elle, la tête non voilée, avait été publiée avant la révolution. Elle aidait les femmes iraniennes à prendre conscience de leurs droits, à organiser des campagnes et à réclamer une nouvelle interprétation du droit islamique. La proposition de collaboration a ainsi été accueillie avec réticence par Mehrangiz Kar, qui redoutait de servir de caution à un «féminisme islamique » dont le seul but serait de légitimer l’action de l’Etat. Elle a pourtant fini par reconnaître que les arguments des femmes islamiques pouvaient avoir une utilité pratique pour atteindre le but visé par les laïques. Une floraison de publications est depuis lors venue confirmer la légitimité du féminisme islamique en tant que théorie.
Ce qui avait été initié par la défunte Zanan dans les années 1990 trouve aujourd’hui sa continuation dans la vaste campagne lancée à l’été 2006 sous le mot d’ordre «Un million de signatures» en faveur des droits des femmes. En vertu de la Constitution iranienne, le Parlement serait alors obligé de se pencher sur un projet de loi contre la discrimination. C’est la première fois que des militantes issues de courants politiques concurrents se constituent en un vaste réseau couvrant l’ensemble de la population.
Pour mettre fin aux discriminations, il ne s’agit pas uniquement de modifier le droit, il faut également faire évoluer les traditions culturelles, car les lois iniques ne sont que le reflet des mentalités conservatrices qui prévalent encore dans la société. Les injustices sont criantes: d’après la loi, une fillette de neuf ans est déjà majeure et peut être condamnée à mort. En cas d’accident, la somme qu’une femme recevra à titre de dédommagement sera deux fois moins élevée que pour un homme. Le témoignage d’une femme ne vaut que s’il est corroboré par celui d’un homme. Un père peut sans problème marier sa fille de treize ans à un vieillard de septante ans. La loi autorise les hommes à avoir plusieurs épouses et à les répudier quand ils le désirent. Mais, d’autre part, l’Iran a l’obligation de respecter le principe de non-discrimination inscrit dans le Pacte relatif aux droits civils et politiques, dont il est signataire. La campagne «Un million de signatures» exige que l’égalité soit enfin prise en compte par la législation iranienne. Remarquablement organisée, la campagne dispose d’un site internet multilingue réalisé par des professionnel∙le∙s où l’on trouve de nombreux liens vers des articles et des interviews – notamment de l’une des icônes du mouvement féministe, Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix.
Coran interprété par les hommes Les militantes doivent prouver que leurs revendications ne sont pas dirigées contre l’islam. Elles sont constamment attaquées sur ce point et ont besoin du soutien des autorités religieuses progressistes qui confirment que les lois concernées peuvent être changées. Selon la foi islamique, il y a lieu de distinguer entre la charia, qui incarne la volonté divine telle qu’elle fut révélée au prophète Mahomet, et son interprétation par les êtres humains, qui s’efforcent d’en déduire des lois conformes aux principes de la religion. La charia est immuable, alors que son interprétation est un processus évolutif que pratique la République islamique elle-même. Certaines dispositions défavorisant les juifs par rapport aux musulmans ont ainsi été abolies. Les femmes s’y réfèrent pour demander que l’équité soit également rétablie à leur égard.
Les féministes islamistes ont fait remarquer que le Coran avait toujours été interprété par des hommes, raison pour laquelle la misogynie a fleuri sous le couvert de la religion. Les femmes devraient elles aussi avoir voix au chapitre. On s’étonne donc qu’elles se réclament le plus souvent de deux figures masculines, l’ayatollah Sane’i et l’ayatollah Bojnurdi. Mais ce choix permet d’accroître la légitimité du mouvement parmi les tenant∙e∙s d’un islam conservateur. Depuis le début de la campagne, quarante-trois militantes ont été convoquées au tribunal et dix d’entre elles condamnées à des peines de prison, alors que les autres étaient libérées sous caution. Mais les combattantes pour les droits de la femme peuvent également se prévaloir de quelques succès. Un projet de loi favorisant la polygamie a été retiré sous leur pression après un bras de fer d’une année. Preuve que les changements en faveur de l’égalité sont possibles.