Début avril : l’action se passe dans une vallée du Pakistan aux mains des talibans. Une vidéo montrant une femme voilée immobilisée par deux hommes, pendant qu’un autre lui inflige trente-quatre coups de fouet, fait le tour du Web. Ces images amateurs prises par un téléphone portable forcent le gouvernement pakistanais à ouvrir une enquête. Même le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, y va de sa personne pour condamner de tels agissements. Samar Minallah, une militante des droits humains, a déclaré avoir reçu ces images d’habitant·e·s de la région et qu’elle les avait distribuées aux médias comme témoignage des violences infligées aux femmes. Cet exemple est symptomatique d’un phénomène grandissant au sein des organisations non gouvernementales (ONG) : l’utilisation de plus en plus fréquente du téléphone portable dans leur travail. Plus d’un millier d’ONG se sont déjà tournées vers l’utilisation de cette technologie et ce n’est que le début.
Un essor planétaire Alors que seule une personne sur sept possède un ordinateur, près d’une personne sur deux à travers le monde a un téléphone portable. En 1990, en Afrique, il y avait à peine 14000 abonnements téléphoniques, alors qu’en 2005, leur nombre s’élève à plus de 280 millions. Face à ce constat, des spécialistes d’Internet et des informaticien·ne·s ont développé des technologies combinant les avantages de la téléphonie mobile – son faible coût et sa démocratisation, notamment en Afrique et en Asie – et d’Internet. Grâce aux téléphones portables, un·e simple citoyen·ne peut se transformer en témoin d’atteintes aux droits humains et le Web permet de mieux s’en faire l’écho. «Grâce à un ordinateur portable et à une centaine de téléphones portables recyclés, l’accès aux soins a été facilité pour près de 250000 Malawites vivant dans des zones rurales», déclare Ken Banks, fondateur de kiwanja.net, une organisation spécialisée dans l’utilisation du téléphone portable dans le développement. Aujourd’hui, des ONG présentes dans quarante pays utilisent le programme gratuit FrontlineSMS qu’il a développé. Au Sri Lanka, par exemple, il est utilisé afin d’apporter un soutien à la communauté gay. Blogs, sites, forums, depuis une dizaine d’années, Internet a vu éclore des espaces de liberté et de contestations, véritables palliatifs à la main mise de gouvernements sur les médias traditionnels. Il est rare de trouver un gouvernement qui ne doive pas faire face à des cyber dissident·e·s « armé·e·s » de leur ordinateur. De la Chine à la Tunisie en passant par la France, Internet s’est infiltré dans l’arène politique. Mais non sans risque. Le 12 mars dernier, Reporters sans frontières (RSF) lançait, avec le soutien d’autres ONG, une action intitulée « 24 heures contre la censure sur Internet ». L’état des lieux est accablant : dans vingt-deux pays, la Toile est surveillée, filtrée et écumée de toute voix contestataire. «L’année passée, durant l’Etat d’urgence au Pakistan, des bloggeurs ont eu peur d’utiliser Internet pour rapporter les nouvelles et les informations et ils ont alors décidé d’utiliser la téléphonie mobile. FrontlineSMS permet de garantir leur anonymat», affirme Ken Banks. Pour l’instant, le réseau téléphonique est encore relativement préservé de la censure, mais pour combien de temps encore ?
Supervision d’élections Autre acteur majeur dans ce domaine, la plateforme de communication Ushahidi («témoignage» en swahili). Elle est née à la suite des violences post-électorales qu’a vécues le Kenya au début de l’année 2008, et à leurs conséquences : black-out médiatique et difficultés à obtenir des informations sur la situation. Grâce au site Internet ushahidi.com, toute personne qui avait été témoin de cas de violences pouvait envoyer un SMS à un numéro de service de messagerie géré par l’équipe d’Ushahidi. Après vérifications, ces informations étaient mises en ligne et localisées grâce à GoogleMap sur une carte du Kenya. Ushahidi a également été utilisée pour recueillir des témoignages lors du conflit qui a éclaté en novembre dernier dans le Nord-Kivu, dans l’Est de la République démocratique du Congo. Prochain grand défi pour Ushahidi: participer à la supervision des quelque 714 millions de votant·e·s indien·ne·s qui vont se rendre aux urnes pour élire leur parlement (www.votereport.in).
Signature par SMS Grâce à ce nouveau mode de travail en réseau offert par la téléphonie mobile – comme les mises à jour par SMS concernant les campagnes d’actions et les activités menées – les ONG bénéficient de nouvelles façons de communiquer avec leurs membres et leurs partenaires. En Belgique, Amnesty International a recours aux SMS pour inciter de nouveaux contacts à réagir rapidement aux cas d’atteintes aux droits humains, via un appel à participer aux actions urgentes. Après s’être abonné à ce service d’actions urgentes, l’utilisateur reçoit chaque semaine un SMS avec le descriptif d’une action. S’il désire la soutenir, il lui suffit de renvoyer un SMS à Amnesty avec son nom, prénom et adresse. Ces informations qui font office de signature sont ensuite transmises aux autorités concernées. Certaines organisations vont encore plus loin dans le champ d’utilisation du téléphone. Mobiles-in-a-Box – un projet de Tactical Technology Collective – propose tout un ensemble d’outils, de stratégies et de guides d’utilisation visant à aider les ONG à utiliser les téléphones portables et d’autres médias dans leur travail. «Une nouvelle approche était nécessaire dans l’utilisation de la technologie et des informations pour lutter contre des gouvernements oppressifs aux ressources énormes », déclare Marek Tuszynski, cofondateur de Tactical Technology Collective. La téléphonie mobile permet de diversifier les moyens d’action des ONG. Grâce à ce nouveau mode de communication, les organisations et les militant·e·s indépendant·e·s peuvent entrer en contact avec des personnes qu’ils ne pouvaient pas atteindre auparavant. Des personnes marginalisées, se trouvant dans des zones reculées ou dans des zones de conflits. L’œil du citoyen pèse sur les responsables des atteintes aux droits humains, mais la pression doit également être mise sur les utilisateurs et utilisatrices de cette technologie qui, s’ils ne vérifient pas les informations reçues, risquent de faire perdre toute crédibilité à cet outil nécessaire.