La pièce se déroule à l’intérieur de la Villa Paradis, propriété d’un dictateur mégalomane et sanguinaire. Bab et Sane sont les derniers gardiens de cette demeure, alors que dans leur lointaine patrie le tyran vient d’être renversé. De peur d’être arrêtés ou assassinés, ils se terrent à l’intérieur de la villa et attendent. Se sentant traqué, affamé, l’un d’eux délire et finit par se prendre réellement pour le dictateur.
AMNESTY : Quels sont vos angles d’approche pour la mise en scène?
Jean-Yves Ruf : Un travail très précis sur le texte, pour sentir les glissements qui s’opèrent entre les différentes stases de cette longue attente, une recherche sur les mécanismes du pouvoir et de la folie, et une confiance dans la force et la complicité des deux comédiens, Habib Dembélé et Hassan Kouyaté. La matière du texte a très vite réveillé chez eux beaucoup d’imaginaire, car cela fait partie de leur histoire, de leur mémoire collective.
Quel est le rôle de la villa dans laquelle les deux personnages sont enfermés? Pourquoi n’en sortent-ils pas?
La villa est comme le dernier refuge, et en même temps comme le sanctuaire où plane fortement le souvenir du dictateur. Plus la pièce avance, plus elle prend une dimension irrationnelle. Bab et Sane sont retenus dans cette villa par l’ignorance de ce qui se passe dans leur patrie, par la peur de ce qui pourrait se tramer contre eux, par réflexe culturel. En cas de changement violent de régime, il y a peu de chances pour les membres de la garde rapprochée d’en sortir vivants.
Comment les deux personnages vivent-ils cet exil forcé ?
En trompant l’attente et l’angoisse par la mise en théâtre de leur propre peur ou fascination pour le dictateur absent. Ils rejouent leur propre histoire pour créer une catharsis salvatrice, mais les rouages qui vont amener Sane vers le délire et la folie sont enclenchés dès le début.
Cette maison où ils vivent reclus donne l’impression qu’ils n’y sont pas seulement enfermés physiquement, mais qu’elle devient également une sorte de prison pour leur esprit. Peut-on parler ici de torture psychologique ?
Oui, la chute du dictateur ne les délivre pas des mécanismes de peur et de soumission qui ont régi leur vie depuis des années. Ils sont orphelins de leur bourreau et ne savent plus à qui ils appartiennent.
Quel regard chacun porte-t-il sur le dictateur?
Sane hait le dictateur autant qu’il est fasciné par lui. C’est un sentiment étrange et complexe. On pense au syndrome de Stockholm. C’est ce qui va l’amener à passer du jeu à la folie. Pour Bab, c’est différent, il ne veut qu’oublier, rentrer au pays, ouvrir un restaurant et tenter de tourner la page. C’est la différence de ces deux postures qui crée la tension de la pièce.
Du 3 au 28 juin 2009, Bab et Sane, Théâtre de Vidy, Lausanne