Et puis, «pour une Africaine, c’est rien!» Au pays, où elle a été formée à la médecine vétérinaire, elle avait une bonne situation et le soutien de son entourage. Elle pouvait en faire beaucoup plus, organisant notamment les femmes délaissées en coopératives. Quand elle a compris qu’en Suisse elle n’avait pas les moyens de s’offrir une femme de ménage, elle a appris l’autonomie à ses enfants. Sa fille de six ans était capable d’appeler le médecin, de prendre un rendez-vous et de s’y rendre seule: «Ça les étonnait! On lui demandait où étaient ses parents ! » L’essentiel pour Aïssatou, c’est de se trouver dans sa maison de Villeneuve quand ses enfants y sont.
La Suisse, Assaïtou l’a d’abord connue dans le cadre professionnel. Elle se rendait aux conférences du Bureau international du travail (BIT), en tant que syndicaliste. Quand il a été question de chercher asile, pour des motifs religieux, elle a d’abord lorgné vers des destinations plus stratégiques pour l’écriture, à l’instar du Canada et de la France. Un concours de circonstances l’a finalement portée à découvrir la face hostile de l’Helvétie: «Le regard qu’on vous porte n’est pas le même en tant que requérante d’asile qu’en tant qu’invitée d’un Etat !» Assaïtou Barry est toutefois gênée de parler d’asile. Elle estime avoir eu énormément de chance en obtenant un statut de réfugiée, assorti du regroupement familial pour son mari et ses enfants, trois mois seulement après sa demande.
Son mari, les hommes: c’est à eux que s’adresse le combat de cette femme rebelle. Répudiée, comme tant de Guinéennes, elle se bat contre «l’utilisation de la femme, comme un kleenex qu’on jette lorsqu’il est trop vieux, parce qu’il n’a pas donné d’enfants ou parce que votre famille en a décidé ainsi». Mais ce besoin de défendre les femmes n’a pas attendu cet épisode personnel pour se faire sentir. A l’école, elle encourageait les filles à se former. Idem en tant que rédactrice en chef du journal de son université. Pas facile toutefois de se faire entendre: «Pour une Africaine, c’est l’homme qui doit tout prendre en charge.» Pour Assaïtou, il faut une complémentarité et un dialogue au sein du couple. Il est injustifié que ce soient les parents plutôt que la femme qui soient consultés sur les questions conjugales.
La Suisse bénéficie aussi de l’engagement de la Guinéenne, lorsqu’elle offre par exemple une écoute à qui nourrit des idées suicidaires, ou un repas à l’ouvrier actif dans le voisinage… même marié! Une spontanéité bien africaine, qui lui joue parfois des tours qu’elle raconte avec humour. Son voeu le plus cher reste toutefois de pouvoir, à travers ses livres, faire connaître les problèmes de son pays et retourner un jour oeuvrer sur place. Aïssatou Barry n’a rien contre les hommes, elle cherche juste à toucher leur coeur, parce que « quand on brime une femme, on conduit toute la société à la déconfiture».