MAGAZINE AMNESTY Bidonvilles: chronique du microcrédit

Article paru dans le magazine AMNESTY, n°58, publié par la Section suisse d’Amnesty International, septembre 2009
C’est dans le bidonville kényan de Kibera, l’un des plus grands d’Afrique, que Michael Nyangi a fondé son organisation de microcrédit. Rencontre avec ce jeune entrepreneur devenu «banquier des pauvres»

© Fabrice Praz © Fabrice Praz

«Je n’ai pas choisi d’habiter à Kibera, prévient d’emblée Michael Nyangi. Personne ne peut souhaiter vivre dans un bidonville.» Et surtout pas celui de Kibera. Les quelques deux cents bidonvilles de Nairobi comptent parmi les plus densément peuplés de toute l’Afrique. Ce sont aussi les plus dangereux, et les conditions sanitaires y sont désastreuses.

Michael Nyangi avait dix-neuf ans lorsqu’il est arrivé dans la capitale kényane en 1999 pour chercher un emploi – comme des dizaines de milliers d’autres personnes. «Je n’avais pas de travail et j’ai été forcé de m’installer à Kibera.» Pendant trois ans, il survit grâce à des petits boulots, jusqu’à ce qu’un entrepreneur pour qui il travaille occasionnellement l’aide à suivre une formation de comptable.

Kibera est le deuxième plus grand bidonville d’Afrique, après Soweto en Afrique du Sud. Plus d’un million de personnes y vivent sur une surface d’à peine 2,5 kilomètres carrés. Nyangi a grandi avec ses cinq frères et sœurs dans un village de l’Ouest du Kenya, dans la région du lac Victoria. Il avait six ans quand son père est décédé. Après cette enfance campagnarde, la rencontre avec la métropole fut un énorme choc.

«La vie à Kibera est très dure. Il n’y a pas d’installations sanitaires, pas d’eau potable, pratiquement pas de rues accessibles aux véhicules. » Les eaux usées s’écoulent entre les baraques de tôle ondulée, les conditions d’hygiène sont extrêmement précaires et les infrastructures médicales totalement insuffisantes.

Une extrême pauvreté

A Kibera, la pauvreté est partout. La plupart de ses habitant·e·s ne disposent que d’un dollar par jour. Le taux de chômage atteint 75%. C’est ce qui a poussé Nyangi, une fois achevée sa formation de comptable, à fonder l’organisation de microfinance Lomoro. Le jeune homme appartient à l’ethnie luo, « omme le père du président des Etats-Unis Barack Obama», précise-t-il en riant. Dans la langue luo, Lomoro signifie «exclu, opprimé». Car c’est bien contre l’exclusion et l’oppression que lutte Michael Nyangi en accordant des microcrédits aux habitant·e·s du bidonville, leur permettant ainsi de monter une petite affaire et d’en tirer un moyen de subsistance.

C’est avec ses maigres économies qu’il a financé un premier crédit de deux mille shillings kenyans (environ vingt-huit francs). Une veuve, mère de trois enfants, en a bénéficié pour monter un stand de légumes. «Le bruit s’est vite répandu que quelqu’un prêtait de l’argent, raconte Michael Nyangi, et soudain, de nombreuses personnes m’ont abordé pour me demander un microcrédit ».Mais il n’avait pas l’argent nécessaire. «J’ai donc commencé à emprunter une petite somme à tous ceux qui voulaient un crédit.» Cet argent a été prêté à ceux qui en avaient le plus besoin. Lomoro est ainsi devenue une sorte de caisse d’épargne et de crédit, et Michael Nyangi s’est retrouvé banquier du bidonville.

Crédit et formation

Au départ, le système comptait quatre membres – ils sont aujourd’hui plus de cinq cents. Lomoro Microfinance est ce qu’on appelle une Community Based Organisation, une structure générée par les besoins d’une communauté. Aujourd’hui, les membres constituent des groupes de cinq personnes pour mettre en commun leurs épargnes. « Ils reçoivent la même somme que celle dont ils disposent déjà , explique Michael Nyangi. Lorsqu’un groupe a vingt francs, il reçoit vingt francs supplémentaires, et peut donc investir quarante francs.» Les recettes leur permettent de rembourser le crédit avec un intérêt de dix pour cent. Cet argent peut alors être prêté à un autre groupe.

Mais le crédit ne fait pas tout. «Ici, tout lemonde est pauvre, et la plupart des gens n’ont pas pu suivre une bonne scolarité», rappelle le Kényan. Il apprend donc également aux groupes comment gérer une affaire. «Seuls ceux qui ont un business plan peuvent obtenir un crédit.» Pour la formation et le service aux client·e·s, Michael Nyangi est secondé par des étudiant·e·s qui, comme lui, travaillent bénévolement. «Nous inspectons l’emplacement d’un futur stand», souligne le jeune banquier. Si quelqu’un veut vendre du maïs grillé, une installation similaire ne doit pas déjà exister à proximité.

Succès

La vente de maïs grillé est l’un des projets de petite entreprise les plus populaires. La plupart des membres de Lomoro sont des marchands de rue qui proposent des légumes, des fruits, du lait, du pain ou du maïs. Un groupe de jeunes fabrique des bijoux avec des os d’animaux. Lomoro effectue un suivi intensif – les membres reçoivent une fois par semaine la visite d’un·e représentant·e de l’organisation – ce qui se révèle payant. Michael Nyangi est fier d’annoncer que 98 des crédits sont remboursés ou en voie de l’être. Selon lui, cela tient au fait que les plupart des membres de Lomoro sont des femmes, réputées plus responsables tant dans le travail que dans la gestion financière. Les microcrédits sont distribués pour 70 % à des femmes, pour 20% à des jeunes et pour 5 seulement à des hommes.

Lomoro ne cesse de se développer. Active d’abord uniquement à Kibera, l’organisation de base octroie désormais des microcrédits dans six grands bidonvilles deNairobi. Les sommes prêtées sont aussi plus conséquentes, et peuvent s’élever jusqu’à dix mille shillings (cent quarante francs). Le minuscule bureau de la banque des pauvres est toujours situé dans le bidonville, et Michael Nyangi tient à ce qu’il en soit ainsi à l’avenir. «Les pauvres doivent pouvoir y avoir facilement accès, que ce soit pour être conseillés ou pour dénoncer le non-respect du droit», insiste-t-il, critiquant les ONG dont les locaux se trouvent loin dans les beaux quartiers. «Le problème du Kenya n’est pas le manque d’argent. Mais toutes les richesses disparaissent dans la poche de quelques politiciens corrompus. Les habitants des bidonvilles n’ont pas d’autre recours que d’apprendre à s’aider eux-mêmes. La microfinance les encourage à se mettre activement en quête de solutions.» Le banquier des pauvres rêve de faire de Lomoro une institution mondiale.