«C’est une première en Amérique latine ! C’est un succès après deux ans de bagarres!», s’exclame Juan Francisco Soto, coordinateur du programme Justice et Réconciliation pour le Centre d’action légale pour les droits humains (CALDH). Il jubile, en brandissant avec fierté le classeur qui contient les copies authentifiées de ces plans qu’il garde précautionneusement dans son bureau, surveillé par différents moyens de sécurité. Jamais auparavant des archives militaires n’avaient été remises à la justice dans le cadre d’un procès en Amérique latine.
Le ministre de la Défense, Abraham Valenzuela, a fini par obéir à l’ordre judiciaire qui exigeait de livrer à la justice quatre plans militaires des années 80. Le 6 mars 2009, le plan Firmeza 83 et le plan de campagne Victoria 82 sont enfin parvenus entre les mains du juge qui conduit le procès pour génocide. Mais Valenzuela a affirmé n’avoir retrouvé que deux des quatre plans demandés. Les documents manquants, le plan Operativo Sofia (juillet 1982) et Asuntos civiles Operacion Ixil (1982) auraient «disparu». En tant que parties civiles, le CALDH et l’Association Justice et Réconciliation (AJR), qui regroupe témoins et survivant·e·s de massacres, ont reçu de la part du juge une copie de ces documents. Indignés et déçus par la remise partielle des archives, le CALDH et l’AJR ont porté plainte contre le ministre de la Défense pour «désobéissance et dissimulation de documents».
Deux cent mille morts
Ces archives militaires, qui datent de la phase la plus violente du conflit, devraient permettre de désigner les responsables des massacres et des disparitions forcées. Au cours du conflit armé interne au Guatemala, qui a duré de 1960 à 1996, environ deux cent mille personnes ont fait l’objet d’une disparition forcée ou ont été tuées et 669 massacres ont eu lieu, principalement dans des villages indigènes, selon le rapport publié en 1999 par la Commission de clarification historique. Ce rapport affirme que l’armée guatémaltèque et ses alliés ont commis la grande majorité des atteintes aux droits humains, et qu’il s’agissait dans certains cas d’actes de génocide. Mais aucun haut responsable de l’armée n’a été sanctionné pour ces crimes de guerre. «Le rapport de la Commission a constitué une étape majeure pour les droits humains au Guatemala», affirme Kerrie Howard, directrice adjointe du programme Amériques à Amnesty International. « Il est temps à présent que le gouvernement rende justice.»
Durant des années, la défense du général Ríos Montt, au pouvoir entre 1982 et 1983, a tenté d’empêcher la déclassification des archives militaires, arguant qu’il s’agit de «secrets d’Etat» portant atteinte à la sécurité nationale ainsi qu’à la vie privée du général. Mais les deux avocats du CALDH ont réussi à obtenir au moins une partie de ces plans malgré les nombreux recours déposés par les trente six avocats de Ríos Montt. Le CALDH tente maintenant d’interpréter ces documents écrits dans un langage militaire complexe, parfois codé, et de trouver les éléments qui pourront servir de preuve dans le procès pour génocide.
Un des éléments clés est celui du traitement de la population civile. Juan Francisco Soto en est convaincu, une analyse détaillée des archives, recoupées par les témoignages des victimes, devrait permettre de prouver «quels ont été les effets des ordres contenus dans les plans sur la population civile». Un des objectifs de l’armée était de «détruire la guérilla et les organisations parallèles». En réalité, cela signifiait que la population civile qui soutenait la guérilla, qui collaborait avec elle ou qui était soupçonnée d’avoir donné de la nourriture ou toute aide à des guérilleros était considérée comme un ennemi à éliminer. Ces plans contiennent des descriptions des ordres donnés aux soldats pour réprimer la population autochtone : opérations de contrôle du territoire, des populations et de leurs ressources (destructions de villages, de récoltes, de cultures, de semences, de bétail). «Il est évident que ces documents constituent des preuves importantes», souligne Soto en élevant la voix. «Je crois que les perspectives de ce cas sont très encourageantes.»
Menaces par SMS
Défendre les droits humains au Guatemala comporte de nombreux risques. Les personnes qui travaillent sur les dossiers liés aux crimes commis pas les forces de sécurité (armée ou police) sont particulièrement menacées. En mai dernier, neuf employé·e·s de deux grandes ONG de défense des droits humains qui travaillent sur d’autres archives déclassifiées de l’armée ont été la cible de menaces de mort par SMS. «Les menaces de mort reçues par ces militants illustrent le climat d’insécurité et de peur qui prévaut au Guatemala, où les personnes qui s’emploient à protéger les droits humains et à rechercher la justice sont contraintes de le faire à leurs risques et périls», s’inquiète Kerrie Howard. «Le gouvernement doit prendre immédiatement des mesures pour protéger ces militants et pour qu’ils puissent accomplir sans crainte leur travail important et légitime.»