- AMNESTY: Qu’est-ce qui vous a poussé à aborder le thème de l’immigration?
- Jean Revillard: Ce que j’essaie de dénoncer, c’est cette aberration de loi qui fait qu’aujourd’hui les gens qui arrivent en Europe sont piégés, et quand ils veulent repartir, parce qu’ils se rendent comptent qu’ils n’ont aucune possibilité ni de travail ni d’existence ici, ils ne le peuvent plus. L’Europe avec 450 millions d’habitants pourrait se répartir les quelque 175 000 personnes qui arrivent clandestinement aux frontières de l’Europe chaque année.
- L’éclairage artificiel, le cadrage soigné font plus penser à des photos d’art contemporain qu’à un reportage sur l’immigration : où s’arrête le journalisme et où commence la photo d’art?
- Aujourd’hui, pour qu’on regarde vos images, il faut être ambigu, il faut témoigner autrement. J’ai fait un livre plus poétique, plus décalé, parce que du coup, les gens rentrent à nouveau dans la problématique, je ne les prends pas de force en leur disant : «Regardez comme c’est terrible tout ça», parce que ça, ça ne marche plus.
- Pourquoi avoir photographié les cabanes sans leurs habitant·e·s ?
- Parce que le fait de ne photographier personne, mais de laisser des traces, ça montre aussi une parfaite image de l’aspect clandestin des choses. J’ai utilisé la cabane parce que c’est un symbole de liberté, d’autonomie. Quand on est enfant, on fabrique des cabanes parce qu’on a envie d’être autonome, libre, d’avoir son univers à soi. Les migrants de Calais, ce sont des gens jeunes, entre 15 et 25 ans, qui fuient parfois la guerre, mais surtout des mariages forcés, des problèmes familiaux, économiques, d’études. Et puis quand on regarde un peu mieux ces images, on se dit: «Ah non, mais en fait, c’est terrible cette réalité.»
- Sur place, comment s’est passé le contact avec les migrant·e·s ?
- Il y a énormément de journalistes et de photographes qui passent à Calais, donc ça les fatigue un peu, mais moi, comme je me concentrais exclusivement sur ces jungles, j’ai très vite noué de bons contacts avec eux, je leur montrais les photos que je faisais au jour le jour. Je faisais aussi des photos d’eux pour les souvenirs, il y avait vraiment un échange, et très vite ils ne m’ont plus considéré comme un journaliste. Evidemment, ils posaient toujours la même question: «A quoi ça va me servir? «et je leur répondais: «A vous individuellement, peut-être à rien, mais moi je fais ce travail pour qu’on continue à parler de vous, parce que sinon, on vous oublie.»