MAGAZINE AMNESTY L'Europe forteresse La Suisse pas en reste

Article paru dans le magazine AMNESTY, n°59, publié par la Section suisse d’Amnesty International, novembre 2009.
Depuis quelques années, les Etats européens mènent une politique migratoire de plus en plus restrictive. Susin Park dirige le bureau de coordination du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) pour la Suisse et le Liechtenstein. Eclairage sur le manque d’harmonisation entre les pratiques et sur le rôle de la Suisse.

Susin Park. © DR

 

  • AMNESTY: Quelles sont les conséquences des accords de Dublin pour les requérant·e·s d’asile?
  • Susin Park: Le HCR a approuvé l’introduction des accords de Dublin, car ils assurent qu’une personne a la possibilité de déposer une demande d’asile dans un pays européen. Le problème, c’est que le système de Dublin se base sur l’idée selon laquelle les réglementations en matière d’asile sont plus ou moins identiques d’un pays de l’Union européenne à l’autre, et donc sur l’idée que les chances d’obtenir le statut de réfugié sont partout les mêmes. Mais ce n’est pas le cas dans l’Union européenne.
  • Pouvez-vous nous donner des exemples?
  • Les Tchétchènes seront probablement déboutés en Slovaquie mais reconnus en Autriche. Les Irakiens auront leur chance en Allemagne, mais pas en Grèce. A l’intérieur de l’Union européenne, les pratiques varient énormément, alors qu’une harmonisation devrait déjà être en cours.
  • Que peut faire la Suisse pour contribuer à l’admission et à l’établissement des réfugié·e·s?
  • La Suisse a déjà admis plusieurs petits groupes. Mais un véritable programme d’admission des refugiés serait nécessaire. En ce moment, un groupe de travail planche sur différents concepts possibles sous la direction de l’Office fédéral des migrations. Nous serions très satisfaits qu’un tel programme voie le jour, car le besoin est très grand. Ce serait aussi un signe de solidarité. La question est de savoir combien de gens seront admis. Ces chiffres resteront en tout cas bien plus bas que ceux des demandes d’asile.
  • Comment ces réfugié·e·s arriveraient-ils chez nous ?
  • Un contrôle aurait déjà eu lieu dans les pays d’origine pour déterminer s’il s’agit de réfugiés. Il s’agirait de personnes qui ont fui dans un premier pays mais qui, pour différentes raisons, ne peuvent pas y rester. Ces personnes arriveraient alors directement en Suisse.
  • En comparaison avec les autres pays européens, qu’est-ce que la Suisse fait mieux, ou moins bien?
  • Il n’est pas facile d’établir des comparaisons, car il y a vingt-six Etats européens et de nombreux domaines que l’on peut considérer. Le HCR et l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) ont publié une étude qui compare le système du droit d’asile suisse aux normes européennes et de droit international. Dans la plupart des domaines, on peut dire que la Suisse respecte les standards minimaux qui sont prévus dans les lignes directrices de l’UE. Mais il y a des exceptions. On peut donner l’exemple des alternatives à la fuite à l’étranger: pour chaque demande d’asile, on vérifie si le requérant avait la possibilité de trouver protection à l’intérieur de son propre pays. Sur cette question, la Suisse interprète actuellement les règles de manière beaucoup plus restrictive que les lignes directrices de l’UE. Un autre exemple : la procédure d’asile dans les aéroports. Selon les standards minimaux, elle ne doit pas excéder quatre semaines, mais en Suisse, elle peut durer jusqu’à soixante jours.
  • D’après vous, où se situent les problèmes?
  • Dans la pratique, des problèmes peuvent surgir lors des recours contre les décisions: les requérants ont le droit de déposer un recours. Mais lorsqu’ils n’en ont pas la capacité dans la pratique, les délais extrêmement courts peuvent causer des difficultés. Les requérants déboutés sont très rapidement renvoyés. Ces personnes peuvent-elles déposer leur recours à l’étranger? Il y a eu dernièrement deux cas où il a été décidé de faire revenir deux personnes. Ce n’est évidemment pas idéal.
  • Est-ce que les accords européens sur l’asile n’ont pas pour conséquence de surcharger les pays qui sont à la frontière de l’UE, pendant que les pays à l’intérieur de l’Europe profitent de la situation?
  • Oui, ce sont surtout les pays de la mer Méditerranée qui sont sous pression, comme l’Espagne, la Grèce, Malte et l’Italie. C’est ce que montrent les statistiques. C’est pourquoi le HCR a appelé il y a déjà longtemps à l’introduction d’un mécanisme pour répartir les réfugiés de façon équitable. Il faudrait aussi que les Etats utilisent davantage la possibilité prévue par les accords de Dublin de prendre en charge certains cas.
  • La Suisse doit-elle arrêter de renvoyer des gens dans des pays européens d’où ils sont menacés d’expulsion vers des pays où la Suisse ne les aurait pas renvoyés?
  • La Suisse reste en tous les cas responsable du respect du principe de non-refoulement. Ce principe interdit que des réfugiés soient renvoyés dans un pays où ils risquent leur vie. Il doit être appliqué dans tous les cas, que le renvoi ait lieu directement vers le pays d’origine ou indirectement vers un pays tiers, et la Suisse doit s’en porter garante. Pour les Etats signataires des accords de Dublin, on part évidemment du principe qu’ils y sont attentifs mais ce n’est pas toujours le cas. Chaque cas individuel doit être vérifié et une plainte contre une décision de renvoi devrait être possible. Le HCR a demandé qu’aucun réfugié ne soit renvoyé vers la Grèce.
  • Quels sont les effets du durcissement de la Loi suisse sur l’asile?
  • Ces dernières années, tous les pays européens ont durci leur législation. Mais le HCR considère que ce ne sont pas ces restrictions qui ont le plus d’impact sur le nombre de demandes d’asile. La situation dans les pays d’origine semble être un facteur beaucoup plus décisif, par exemple lorsque les conditions se détériorent en Irak ou en Afghanistan. Les législations restrictives augmentent le risque que des personnes ayant réellement besoin d’être protégées n’obtiennent plus le statut de réfugié. En Suisse, le taux d’acceptation des demandes d’asile est cependant resté plus ou moins stable. Cela signifie peut-être que les personnes menacées reçoivent tout de même la protection qu’elles requièrent. Mais il faudrait creuser cette question.
  • Les durcissements sont-ils dissuasifs? Un Irakien a-t-il une idée de la situation juridique suisse?
  • Ces parcours sont certainement aussi déterminés par les passeurs. Les personnes qui fuient leur confient leur destin, et si l’accès à l’Europe devient plus difficile, les passeurs prennent des routes plus dangereuses.
  • Comment l’action du HCR est-elle perçue en Suisse?
  • J’ai l’impression que le travail du HCR est beaucoup moins connu en Suisse que dans les autres pays européens. Le mandat du HCR est le même pour tous les pays et comprend la surveillance de la mise en œuvre des standards internationaux. Les Etats ont accepté cette surveillance en signant la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. C’est donc aussi valable pour la Suisse.