La publication en février 2008 au Sénégal, dans le journal local Icône, de photos d’une cérémonie de mariage gay a déclenché une véritable chasse à l’homme dans tout le pays, forçant certains membres de la communauté gay à l’exil. Le journal parlait «d’alerter les autorités sur la montée de l’homosexualité chez les jeunes». Cette position anti-homosexuelle du journal n’est pas un cas isolé. Un certain nombre de journalistes dénoncent de manière récurrente l’homosexualité comme étant une perversion étrangère aux coutumes locales et héritée de la colonisation. Les faits sont présentés comme nouveaux, de nature à mettre en danger la morale et la jeunesse sénégalaise. «Certains quotidiens camerounais ont publié en 2006 une liste des cinquante personnalités présumées homosexuelles, les considérant parfois comme sectaires, comme des sorciers. Le phénomène est très souvent confondu avec la zoophilie, le crime et la pédophilie», déclare Sébastien Mandeng, vice-président de l’association de défense des homosexuel·le·s au Cameroun (ADEFHO).
«Que ce soit au Cameroun ou au Sénégal, le traitement de l’actualité homosexuelle par les médias prête à confusion, à amalgame, et à une mauvaise perception, bref à l’homophobie», ajoute Sébastien Mandeng. Les médias ne sont pas à la base du phénomène, mais ils sont l’écho de ce qui se dit et se pense chez les «gens d’en bas». «Ils épousent pour la plupart les contours des représentations sociales en cours», précise Charles Gueboguo, sociologue camerounais spécialiste de la question des droits des homosexuel·le·s en Afrique.
Pénalisation
Alors que les médias exacerbent l’homophobie, la loi elle-même légitime le sentiment anti-homosexuel présent au sein des sociétés camerounaise et sénégalaise. Au Cameroun, l’article 347 bis du code pénal fait des relations entre personnes du même sexe un délit passible de six mois à cinq ans de prison. Selon l’article 315 du code pénal sénégalais, l’homosexualité peut être condamnée par une peine de prison d’un à cinq ans et une amende pouvant aller jusqu’à 3500 francs. Pourtant, les poursuites judiciaires contre des personnes en raison de leur orientation sexuelle sont contraires au droit de ne pas être discriminé contenu dans le Pacte international sur les droits civils et politiques et dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, deux traités internationaux auxquels le Cameroun et le Sénégal sont des Etats parties.
Et la loi ne reste pas lettre morte. Au Cameroun, depuis 2003, une vingtaine de jeunes ont été emprisonnés sur la base de leur homosexualité présumée. Pire encore, au Sénégal, neuf hommes ont été arrêtés à Dakar en janvier 2009, suite à leur participation à des ateliers de prévention du VIH et à des accusations anonymes relatives à leur vie sexuelle. Ils ont été condamnés à huit années de prison après avoir été déclarés coupables de «conduite indécente, d’actes contre nature et d’association de malfaiteurs». Le juge a prononcé des condamnations supérieures à celles prévues par la loi. Ces condamnations «permettent de dire de manière forte l’opposition des autorités à ce qui est considéré comme une déviance», affirme Charles Gueboguo.
«Ces neuf hommes étaient des prisonniers d’opinion, uniquement condamnés en raison de leur comportement sexuel présumé, et qui n’auraient jamais dû être incarcérés du tout», a réagi Véronique Aubert, directrice adjointe du programme Afrique d’Amnesty International. Ils ont finalement été libérés le 20 avril 2009 après l’annulation des condamnations par la cour d’appel de Dakar, mais à la suite d’un vice de procédure, ce qui ne remet pas en question les raisons de leur condamnation.
Climat d’insécurité
A leur libération, certains médias et une organisation islamique ont diffusé des déclarations homophobes décrivant les neuf hommes comme des «vicieux» ou des «pervers» propageant le VIH. Ces hommes vivent aujourd’hui dans l’insécurité. Suite à cette affaire, des émissions de radio ont transmis des messages appelant la population à s’en prendre à quiconque est soupçonné d’être homosexuel en lui jetant des pierres. «Le climat d’homophobie mène à des comportements barbares ne correspondant pas aux valeurs d’un pays qui se veut démocratique. Récemment, on a assisté à la profanation d’un tombeau par les habitants de Djourbel. La population ne voulait pas vivre à côté du cadavre d’un homosexuel», rapporte Sébastien Mandeng. L’insécurité a gagné tout le mouvement de lutte pour les droits des homosexuel·le·s. Les activistes peinent à continuer leur travail, notamment de prévention du VIH, alors qu’il est essentiel d’inclure la minorité homosexuelle pour lutter contre la pandémie du sida.
En raison de la discrimination dont elles font l’objet, les personnes homosexuelles vivent généralement une double vie : elles sont mariées et entretiennent en parallèle des relations cachées. Le risque de transmission du virus à l’ensemble de la population est donc important si les homosexuel·le·s ne sont pas sensibilisé·e·s aux risques de trans mission du VIH. La criminalisation de l’homosexualité et le climat de peur qu’elle crée met en péril la lutte générale contre le VIH au Sénégal.
Leaders religieux
Le Sénégal est un pays laïc, où 95 % de la population est de confession musulmane et où «les leaders musulmans exercent une influ ence de taille sur la politique du pays», explique Sébastien Mandeng. Une dizaine d’imams ont décidé de créer le Front islamique pour la défense des valeurs éthiques, qui lutte contre la «propagation de l’homosexualité» dans la société sénégalaise. La position des instances religieuses au Cameroun, pays à majorité chrétienne, est également inquiétante. Une marche a eu lieu en juillet dernier, à l’initiative de l’archidiocèse de Douala, pour protester contre la ratification du Protocole de Maputo, relatif aux droits de la femme, et pour s’opposer à la légalisation de l’homosexualité. Selon Charles Gueboguo, «les leaders religieux jouent un rôle dans la diffusion de l’idéologie et des dogmes religieux qu’ils portent. Et ceux-ci ne composent pas avec l’homosexualité. »