MAGAZINE AMNESTY Tourisme Des vacances labellisées «droits humains»?

Article paru dans le magazine AMNESTY, n°59, publié par la Section suisse d’Amnesty International, novembre 2009.
Depuis quelques années, le tourisme «vert» a explosé. Voyager autrement, dans le respect de la nature est devenu un véritable choix et un argument commercial. A quand des vacances elles aussi respectueuses de critères éthiques relevant des droits humains?

L’image a fait le tour du monde. Le président des Maldives, Mohammed Nasheed, ainsi que ses ministres tenaient sous l’eau leur réunion ministérielle en combinaisons et bouteilles de plongée. Une première mondiale qui avait pour but d’attirer l’attention sur les effets du réchauffement climatique qui menacent cet archipel de l’océan Indien. En 2007 déjà, la commission intergouvernementale des Nations unies sur le changement climatique avait prévenu qu’une hausse du niveau de la mer de 18 à 59 cm d’ici 2100 serait suffisante pour rendre l’île inhabitable. En plus des politiques mises en place par le gouvernement de Malé, l’industrie du tourisme prend de plus en plus de mesures pour développer sur l’archipel un tourisme respectueux de l’environnement. Vu son poids dans l’économie des Maldives, le tourisme aurait le potentiel d’éliminer la pauvreté et d’améliorer les conditions de vie locales. Mais ce n’est pas le cas.

Selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), près de la moitié de la population locale vit avec à peine plus de un dollar par jour. L’organisation anglaise Tourism Concern, principale ONG européenne qui travaille sur la question du tourisme et des droits humains, fait campagne depuis 2004 sur ce pays. Selon elle, en raison du climat politique longtemps marqué par la répression, les populations locales et les employé·e·s dans le secteur du tourisme ont eu peur de parler de leurs conditions de travail, car cela aurait pu signifier la perte Sensibles à la pression des voyageurs et voyageuses, les tour-opérateurs introduisent des labels éthiques dans leurs offres de vacances. de leur emploi, un emprisonnement ou pire. Certes, depuis l’élection du nouveau président, il y a une année, des améliorations sont perceptibles. Mais derrière les hôtels de luxe et les plages paradisiaques, certaines restrictions de liberté et le non-respect de plusieurs droits persistent.

Pressions des touristes?

Au niveau institutionnel, l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) s’est engagée, à l’instar des autres agences onusiennes, à atteindre d’ici 2015 les objectifs du Millénaire pour le développement conçu pour faire reculer la pauvreté et favoriser le développement durable. Alors qu’il reste moins de la moitié du chemin à parcourir avant cette date butoir pour la réalisation de ces objectifs, les rares progrès dans la lutte contre la pauvreté et la faim commencent à ralentir, voire à s’inverser à cause de la crise économique. Bien que le secteur du tourisme semble être à nouveau à la hausse, difficile d’imaginer que ce secteur dominé par des entreprises privées se plie aux normes onusiennes, surtout lorsqu’elles ne sont pas contraignantes.

Et si une meilleure adéquation entre le tourisme et les droits humains émanait directement de ce secteur privé grâce aux pressions des voyageurs et voyageuses?

Un label unique

«Jusqu’à maintenant, chaque tour-opérateur avait développé son propre label, chez nous le Green Planet Award. En unifiant le système au niveau international, Travelife permet aux hôtels et aux clients de s’y retrouver», confie Sabine Ehrler du département Corporate responsability de Kuoni. Depuis 2007, le réseau Travelife, financé en partie par l’Union européenne, a été créé par des tour-opérateurs anglais avec comme ambition de devenir la norme universelle en matière de tourisme durable. Actuellement, des voyagistes du monde entier proposent 700 hôtels labellisés Travelife. En Suisse, Kuoni est le premier à avoir adhéré à ce système, bientôt suivi par Hotelplan. Le fonctionnement est simple: Kuoni effectue un audit de ses hôtels partenaires sur la base d’un catalogue de critères standardisés qui tiennent compte de l’engagement de ces hôtels dans la protection des enfants, l’amélioration des conditions de travail et le respect des standards écologiques. Les résultats de l’audit sont ensuite communiqués aux client·e·s sous la forme de labels. «Quatorze membres de Kuoni spécifiquement formés en collaboration avec Travelife ont fait l’audit d’une centaine de nos hôtels partenaires, des Maldives jusqu’à Dubaï. On peut estimer qu’entre 10 et 20% d’entre eux décrocheront un des labels Travelife. Les critères sont élevés», explique Sabine Ehrler.

Et pour la majorité des hôtels laissés au pied du podium? «Ils resteront dans notre offre et on leur apportera le soutien nécessaire pour qu’ils augmentent leurs standards. Tous les deux ans, nous effectuons un audit.» Certes, ce système n’est pas contraignant, mais il permet au moins aux client·e·s de pouvoir se repérer dans la jungle des tour-opérateurs. Une question reste toutefois en suspens: dans un tel système où le tour-opérateur teste lui-même ses hôtels partenaires, peut-on parler d’indépendance? «Travelife est une organisation indépendante. Chacun de nos audits est vérifié par des contrôleurs indépendants de Travelife », rétorque Sabine Ehrler.

Boom

Kuoni va tout bientôt ouvrir une de ses académies qui forment les futur·e·s professionnel·le·s de l’industrie du tourisme à Dubaï. Dans son offre, l’agence propose déjà aux touristes suisses des dizaines d’hôtels de luxe dans ce qu’elle appelle la «Californie arabe». Des hôtels construits à quel prix? En quelques années, Dubaï est devenue une destination touristique de premier ordre. En 2008, selon le Département du tourisme de Dubaï, les hôtels de cette petite principauté des Emirats ont accueilli près de 7 millions de visiteurs et visiteuses, soit une progression de 15 % par rapport à l’année précédente. Avec un chiffre d’affaires dépassant les 15 milliards de dirhams (4 milliards de francs suisses). Tourisme de luxe, tours dans le désert, magasins immenses, architecture démentielle, les Européen·ne·s sont les plus séduit·e·s par les beautés de Dubaï. Mais derrière ce boom touristique et immobilier se cache la sueur de centaines de milliers de migrant·e·s. Venu·e·s du Pakistan, d’Inde, du Sri-Lanka et du Bangladesh, ils représentent 95 % des forces vives du pays. Salaires dérisoires et souvent impayés, années d’endettement auprès des agences de recrutement pour venir travailler sur place, confiscation des passeports, conditions de travail dangereuses, voire mortelles, suicides. Selon Human Rights Watch, en 2005, 84 travailleurs indiens se sont donné la mort. Chez les tour-opérateurs, la question est délicate. «Ce problème relève des compagnies de construction. Nous nous intéressons à nos fournisseurs directs, les propriétaires d’hôtels. C’est avec eux que nous vérifions les conditions de travail», insiste Sabine Ehrler de Kuoni. Du côté des autorités, on joue le cynisme: «Selon le gouvernement, les travailleurs sont libres de quitter l’Emirat s’ils se sentent malheureux, explique Sarah Leah Whitson, directrice Moyen-Orient chez Human Rights Watch. Mais avec des milliers de dollars de dette qui pèsent sur leurs têtes et pas d’options pour un nouvel emploi, la réalité est que ces travailleurs n’ont pas trop le choix.»<


 

L’impact du tourisme sur les droits humains

Déplacement de populations: Au Cambodge, 160 familles risquent d'être chassées de leur domicile sans bénéficier de mesures de relogement satisfaisantes ni d'indemnisations équitables. Ces habitant·e·s de deux villages situés sur les berges d'un lac de la capitale, Phnom Penh, ont reçu une notification officielle leur laissant sept jours pour démonter leurs habitations. Une société privée doit réaménager le site à des fins touristiques.

Tourisme sexuel sur mineur·e·s: Selon l’Unicef, il y aurait 200 000 adeptes du tourisme sexuel sur mineur·e·s. Sous l’impulsion de l’EPCAT (End Child Prostitution, Child Pornography and Trafficking for Sexual Purposes), les voyagistes ont, depuis 2003, la possibilité de souscrire à un code de conduite visant à protéger les enfants contre l’exploitation sexuelle à des fins commerciales dans le tourisme. Appliqué dans une trentaine de pays, ce code de conduite a été signé par plus de 600 entreprises qui s’engagent ainsi à introduire dans les contrats qui les lient à leurs partenaires commerciaux la tolérance zéro face au tourisme sexuel impliquant des enfants, à informer leurs collaborateurs et collaboratrices dans les pays de destination et en Suisse et, par ailleurs, à sensibiliser leur clientèle de manière appropriée.

Accès à l'eau: Le gouvernement chypriote avait donné le feu vert à la création de 14 nouveaux terrains de golf dans le but de relancer le tourisme dans le pays en dépit de la rareté croissante de l’eau – chaque été l’île se transforme en désert. Face au mécontentement populaire, le gouvernement chypriote a dû imposer des contraintes environnementales à ces entreprises.

Conditions de travail: Au Myanmar, bon nombre d’installations touristiques (routes, hôtels, etc.) ont été construites en recourant de manière systématique au travail forcé des minorités ethniques. Les revenus du tourisme obtenus par le biais des compagnies étatiques servent directement à renflouer les caisses de la junte militaire au pouvoir.