Après une année de gouvernance, ce ne sont plus seulement les républicain•e•s, mais également les ami•e•s du président qui fustigent ses décisions en ce qui concerne les droits humains. © AP/PA Photo/Charles Dharapak
Après une année de gouvernance, ce ne sont plus seulement les républicain•e•s, mais également les ami•e•s du président qui fustigent ses décisions en ce qui concerne les droits humains. © AP/PA Photo/Charles Dharapak

MAGAZINE AMNESTY Etats-Unis «Je savais que ce serait difficile»

Article paru dans le magazine AMNESTY, n°60, publié par la Section suisse d’Amnesty International, février 2010.
Une année a passé depuis l’entrée en fonction du président Obama, et nombre de ses partisan·e·s aujourd’hui déchantent. Celles et ceux qui espéraient un changement radical après les huit années de politique antiterroriste du parti républicain sont déçu·e·s.

Tout a commencé par un décret présidentiel, signé par Barack Obama dans l’euphorie de ses premières heures à la Maison-Blanche: le 22 janvier 2009, il paraphait d’une main déterminée l’ordre exécutif numéro 13492, qui commandait la fermeture du camp de prisonniers de Guantánamo dans un délai d’une année. Par ce geste, le nouveau président prenait clairement ses distances avec son prédécesseur. «Regardez, semblait-il dire, je ne suis pas George W. Bush. Et je ferai tout pour mettre un terme à la politique antiterroriste calamiteuse qui a plongé les Etats-Unis dans huit années de turbulences après les attaques du 11 septembre 2001». De même, au deuxième jour de son mandat, Obama interdisait aux agents de la CIA d’utiliser des méthodes d’interrogatoire contestées – une seconde décision aussi importante que la première, vu le débat qui faisait rage alors autour de procédés tels le waterboarding, un simulacre de noyade. Au mois d’août 2009, son ministre de la Justice annonçait que certains éléments des procédures d’interrogatoire décriées allaient faire l’objet d’une enquête indépendante.

Une année plus tard, ce ne sont plus seulement les républicain·e·s, mais également les ami·e·s du président qui ont des raisons d’être mécontent·e·s de son bilan en ce qui concerne les droits humains. A leurs yeux, les mesures prises par Obama dans ce domaine ne vont pas assez loin; la gauche du Parti démocrate reproche au président de s’être aplati devant la majorité de la population américaine, de sensibilité républicaine. En témoigne le ton va-t-en guerre adopté par le président ces dernières semaines, alors que le candidat démocrate promettait de rompre avec la rhétorique belliqueuse des républicains. Les militant·e·s des droits civiques formulent aussi quelques réserves quant à la stratégie qui consiste à ignorer les thèmes trop controversés comme la peine de mort (en 2009, cinquante-deux condamné·e·s ont été exécuté·e·s dans treize Etats des Etats-Unis) et le racisme, qui imprègne encore le système judiciaire américain.


Un changement de code postal?

Si les foudres des critiques vont principalement au décret 13492, c’est que celui-ci symbolise une promesse que le prix Nobel de la paix n’a pas pu tenir. En automne déjà, Obama annonçait que le délai de douze mois pour fermer Guantánamo ne pourrait pas être respecté. Le président ne s’est pas montré particulièrement déçu de cet état de fait: «Je savais que ce serait difficile», a-t-il déclaré dans un entretien télévisé. Un euphémisme, en ce qui concerne le sort des quelque deux cents prisonniers encore détenus à Guantánamo, car cette question s’avère bien plus complexe que prévu.

En gros, la Maison-Blanche souhaite rapatrier un tiers des prisonniers sur le sol étasunien, ou les faire accueillir par des pays tiers comme la Suisse. Un second tiers comparaîtra devant les tribunaux. La situation se complique en ce qui concerne le dernier tiers: Obama estime lui aussi qu’un certain nombre de captifs sont trop dangereux pour être libérés.

Les autorités ne possèdent cependant pas suffisamment de preuves pour condamner les prétendus terroristes – notamment parce que la CIA a fait usage de la torture ou de méthodes qui s’y apparentent durant les interrogatoires. La Maison-Blanche souhaite donc que ces personnes restent en détention à l’avenir, même sans avoir fait l’objet d’un procès en bonne et due forme.

Les organisations de défense des droits civiques se sont insurgées contre le projet du gouvernement étasunien qui prévoit de transférer une centaine de terroristes présumés dans une prison de haute sécurité située à Thomson, dans l’Etat de l’Illinois. Tom Parker, représentant d’Amnesty International USA, ironise: «Avec cette annonce, le président ne fait que changer le code postal de Guantánamo.»

Les défenseurs et défenseuses des droits humains fustigent également un autre pilier de la politique antiterroriste du gouvernement démocrate. Le ministre de la Justice a récemment déclaré que les tribunaux militaires chargés de juger sommairement les personnes soupçonnées d’actes terroristes «sont conformes aux plus hauts standards du droit». «Il risque d’être déçu», commente sèchement une représentante de Human Rights Watch après une visite au camp de Cuba.


Un nouveau Vietnam


Et de tels reproches se multiplient. Justifiée par Obama pour contrer le retour en force des talibans, la guerre en Afghanistan menace-t-elle d’échapper à tout contrôle ? David Obey, député influent et collègue de parti du président, n’est plus le seul à tracer des parallèles entre la débâcle du Vietnam et le bourbier afghan. Il parle de «guerre impopulaire» et de «coûts trop élevés». Et l’incarcération de six cents prétendus talibans dans la forteresse de Bagram? «Nous en attendions plus d’Obama», dit l’avocate Tina Monshipour Foster, qui représente un Afghan détenu sans acte d’accusation. Qu’en est-il des attaques de drones orchestrées par la CIA et la compagnie privée Blackwater – rebaptisée Xe Services – sur ce qu’on soupçonne être des bases terroristes à la frontière de l’Afghanistan et du Pakistan? «Ce sont des tentatives d’assassinats perpétrées par une puissance étatique», accuse Hina Shamsi, militante pour la défense des droits humains.

Latinos mécontents


Les critiques de la gauche se font moins acérées en ce qui concerne la politique intérieure d’Obama – notamment parce que cette première année a été presque entièrement dédiée à la réforme du système de santé et aux mesures de soutien à l’économie. Mais en coulisse, des démocrates influents déplorent la passivité du président. De nombreux Latinos sont mécontent·e·s que la question des quelque douze millions d’immigré·e·s clandestin·e·s – provenant surtout d’Amérique centrale et du Sud – n’ait pas été abordée durant cette année. Selon l’élu démocrate Raul Grijalva d’Arizona, «il y a beaucoup de frustration et de déception». Les homosexuel·le·s étasunien·ne·s en veulent au président de n’avoir jusqu’ici rien entrepris contre la discrimination des gays et des lesbiennes dans les forces armées – alors que le candidat Obama avait promis durant sa campagne de mettre un terme à la politique de la loi du silence («Don’t ask, don’t tell») et de lutter à l’échelle nationale contre l’interdiction des mariages homosexuels.
Même les alliés du président reconnaissent que, dans le domaine des droits humains, son bilan est mince. A sa décharge, ils rappellent que le chef de l’Etat et du gouvernement étasunien possède certes un pouvoir très étendu sur le papier, mais que dans la pratique, presque chacune de ses décisions doit être avalisée par le Parlement. Dont les membres – même démocrates – ont actuellement d’autres priorités. Si grande qu’ait été l’euphorie au moment de l’investiture du président Obama en janvier 2009, pour mettre en œuvre ce fameux changement qui fut le mot d’ordre de toute sa campagne, il faut du temps.