AMNESTY: Un an après l’élection d’Obama, peut-on dire qu’il a été rattrapé par la realpolitik et qu’il a déçu les attentes placées en lui?
David Sylvan : De nombreuses personnes s’attendaient à un véritable changement, notamment en matière de droits humains. Il y a certainement eu une lueur d’espoir au début de son gouvernement, surtout avec certaines nominations qu’il avait soumises au Sénat pour le Département de la justice et le Département d’Etat, comme avec la décision, qu’il a communiquée très tôt, de fermer Guantánamo. Pour ces personnes, logiquement, cela a été une véritable déception, parce qu’il est clair que, sur une série de sujets qui vont de Guantánamo aux écoutes téléphoniques ou au renoncement de poursuivre des anciens dirigeants de l’administration Bush, il y a de quoi être déçu.
Et pour ceux qui étaient plus sceptiques?
Pour les sceptiques, et j’en fais partie, Obama n’a jamais été perçu comme quelqu’un qui ferait vraiment exploser tout le système américain, qui n’a d’ailleurs pas été construit seulement sous l’ère Bush. Il s’agit plutôt de quelqu’un qui recherche toujours le consensus, qui se situe vraiment au milieu des courants de pensée américains.
Ne s’agit-il pas aussi d’une question de marge de manœuvre?
II faut dire que dans le système américain, les postes des hauts fonctionnaires, pas seulement les ministres mais les députés, les sous-ministres, sont tous soumis à l’approbation du Sénat. Obama a été vraiment très lent dans ce processus, car il voulait à tout prix éviter que certains candidats se révèlent avoir des problèmes avec le fisc ou avec des lobbys. De plus, le Sénat a décidé de prendre en otage certaines de ces nominations. Ce qui fait qu’une grande partie de l’administration Bush est toujours en place.
Le président est donc l’otage de l’opposition républicaine?
Au début de sa présidence, Barack Obama désirait vraiment construire des alliances avec les républicains sur une série de questions. Mais je pense qu’aujourd’hui ce rêve s’est envolé. Il reste très sensible aux nombreuses critiques émanant de la droite. Il pense, à tort ou à raison, qu’il aura toujours la gauche à ses côtés, mais qu’il risque d’avoir une série de problèmes s’il est trop critiqué par la droite. A cela s’ajoute un consensus idéologique auquel adhèrent la plupart des élus du parti démocrate, selon lequel, même si l’administration Bush a pêché par excès de zèle dans la poursuite de la prétendue «guerre contre le terrorisme», elle était sur le bon chemin.
C’est-à-dire?
Si vous lisez ce que le ministre de la Justice, Eric Holder, et même Barack Obama ont dit sur la «guerre contre le terrorisme», on voit très bien qu’ils sont d’accord avec une partie des choses qui se sont passées et qu’ils ont plutôt remis en question la méthode: un manque de finesse et des méthodes trop «crues».
Obama aura-t-il le courage d’affronter la droite et de poursuivre les responsables en justice? Y a-t-il un espoir contre l’impunité?
Les responsables ne seront jamais traînés en justice! Il n’y aura jamais la volonté politique pour cela! Ce seront toujours les petits fusibles qui sauteront, mais jamais les gros. D’une part, c’est une décision pragmatique de sa part, pour garder encore l’espoir d’avoir des alliances de facto avec les républicains sur certaines questions. Mais, d’autre part, il y a la peur. S’il poursuit Rumsfeld, il craint à son tour que certains de ses « lieutenants » pourraient être poursuivis la prochaine fois que les républicains gagneront le pouvoir. Pour l’administration Obama, il s’agit d’une question de marchandage: nous accordons l’impunité à vos gens, mais vous ferez la même chose pour nous.
Mais la continuité avec l’administration Bush va au delà d’un cynique marchandage. Le Département de la justice a utilisé les mêmes arguments que George W. Bush pour empêcher que les victimes «par erreur» de vols secrets et de torture puissent saisir la justice.
Encore une fois, l’administration Obama considère que c’est son devoir de défendre tout ce que ses prédécesseurs ont fait. On assiste effectivement à de la corruption institutionnelle au sein du Département de la justice. Et encore une fois, il faut insister sur le fait que, même si certaines décisions ont été prises par des gens du troisième niveau, c’est bien Eric Holder et Barack Obama qui en sont finalement responsa¬bles. Il est évident que si Barack Obama avait voulu faire autrement, cela aurait été fait, et rapidement.
Avez-vous d’autres exemples de cette corruption?
Début janvier, le procès de cinq agents de la compagnie de sécurité Blackwater – accusés de la mort de quatorze civils irakiens lors d’une fusillade à Bagdad en 2007 – a été annulé pour des vices de procédure, peut-être provoqués volontairement par le Département de la justice. En effet, selon plusieurs sources, dont Scott Horton, président de la commission sur le droit international de l’Association des avocats new-yorkais et spécialiste des questions de torture, il s’agirait d’un acte délibéré. Le Département de la justice et le Département d’Etat avaient assuré aux agents de Blackwater, durant leur détention, qu’ils pouvaient tout leur dire et leur avaient promis que leurs paroles ne seraient pas utilisées contre eux lors du procès. Or ils ont sciemment violé cette promesse et essayé d’introduire les témoignages des interrogatoires pendant les interviews lors du procès. D’après Horton, ceci aurait été fait délibérément pour torpiller le procès.
Quelles sont pour vous les conséquences les plus préoccupantes de la «guerre contre le terrorisme» aujourd’hui ?
Il y en a énormément. En premier lieu, la façon dont les personnes sont traitées: la torture et de nombreuses violations des droits humains. En tant qu’Américain, ce qui m’inquiète énormément, c’est le fait que cette «guerre contre le terrorisme» mine la démocratie dans les pays qui y participent. Surtout aux Etats-Unis. Par exemple, on a vu que des ordres justifiant l’utilisation de la torture ont été donnés au plus haut niveau du gouvernement, en toute impunité. Seules les personnes subordonnées ont été incriminées. En parallèle, on essaie de cacher des faits embarrassants, on nie aux gens la possibilité de recourir aux tribunaux, on accepte l’idée de bombarder continuellement l’Afghanistan, malgré le changement de parti politique à la Maison-Blanche. Pour moi, tous ces éléments constituent la négation de la démocratie.
II faut dire que dans le système américain, les postes des hauts fonctionnaires, pas seulement les ministres mais les députés, les sous-ministres, sont tous soumis à l’approbation du Sénat. Obama a été vraiment très lent dans ce processus, car il voulait à tout prix éviter que certains candidats se révèlent |