MAGAZINE AMNESTY Etats-Unis La pauvreté gagne du terrain

Article paru dans le magazine AMNESTY, n°60, publié par la Section suisse d’Amnesty International, février 2010.
Malgré les 787 milliards de dollars débloqués pour la relance économique, une frange de la population américaine s’enfonce toujours plus dans la pauvreté. Entre crise du logement, chômage à la hausse, système de santé à l’agonie, les Etats-Unis ont du mal à se redresser. Mis à la rue

Noël a été magique pour plusieurs millions d’Américain•e•s cette année. Même «historique», comme l’a qualifié le président Barack Obama. La veille de Noël, le 24 décembre, la réforme de la couverture maladie a été votée par le Sénat, avec soixante voix pour et trente-neuf contre, celles des républicain•e•s. Beaucoup de présidents américains en avaient rêvé, Barack Obama est sur le point d’y parvenir. Même si la perte d’un siège au Sénat pourrait remettre en cause tout le paquet.

Une telle réforme se faisait attendre. Selon les derniers chiffres, quarante-six millions d’Américain•e•s seraient dépourvu•e•s de toute assurance maladie. Grâce à cette réforme, trente millions seront couvert•e•s rapidement, les autres devront attendre au moins jusqu’en 2013.

Au-delà de l’assurance maladie, c’est tout le système de santé américain qui est en crise. Il a beau être le système le plus coûteux au monde, il n’en devient pas moins source d’inégalités et d’injustices. Par exemple, la question de la mortalité maternelle. Les Etats-Unis ont le plus haut taux de mortalité maternelle parmi les pays développés. Selon le Center for Disease Control and Prevention (Centre de contrôle et de prévention des maladies), la principale agence gouvernementale en matière de santé publique, deux à trois femmes meurent chaque jour suite à des complications liées à la grossesse. En première ligne, les femmes afro-américaines qui ont trois fois plus de risques de mourir que les femmes blanches. L’agence arrive à la conclusion qu’au moins la moitié de ces morts auraient pu être évitées si les femmes avaient un meilleur accès à des soins de santé appropriés. Autre facteur en cause: la pauvreté, la discrimination et le prix des soins.


Pauvreté accrue

En cette période de crise économique et de récession qui frappe le pays, un nombre croissant d’Américain•e•s font face à des difficultés financières. Une situation qui n’est pas si nouvelle que cela. Selon le bureau du recensement américain, le nombre de personnes vivant dans la pauvreté a augmenté de six millions durant les deux mandats de George W. Bush, pour atteindre aujourd’hui près de quarante millions, soit 15% de la population américaine. Les minorités et les migrant•e•s sont frappé•e•s d’une manière disproportionnée: 24,5% des Noir•e•s et 21,5% des Hispaniques vivent dans la pauv reté, contre 8,2% des Blanc•he•s. De plus, durant la présidence de George W. Bush, des coupes drastiques ont été faites dans les budgets touchant aux politiques de protection sociale.

Pire, on assiste à une criminalisation grandissante des personnes démunies, comme le révèle le National Law Center on Homelessness and Poverty (Centre national de droit sur l’exclusion liée au logement et à la pauvreté) dans une étude récente. Selon cette association de juristes, le nombre d’ordonnances s’attaquant à la pauvreté publique a augmenté, de même que les contraventions et les arrestations sanctionnant les infractions les moins graves (par exemple jeter des détritus sur la voie publique ou tenir à la main une bouteille d’alcool ouverte). Au hit-parade des villes les plus sévères : Honolulu, Los Angeles et San Francisco.

«Je ne m’attendais pas à voir ce que j’ai vu. D’une certaine façon, la situation est pire que ce que j’avais imaginé», témoigne Raquel Rolnik, rapporteuse spéciale sur le logement de l’ONU, de retour des Etats-Unis. Pendant une année, George W. Bush ne l’a pas autorisée à se rendre sur le territoire américain; l’élection de Barack Obama a changé la donne. «Je pense que ceux qui souffrent le plus de toute cette situation sont les plus pauvres, la population à faible revenu. Le poids qui pèse sur leurs épaules est disproportionné et ce sont bien sûr les Afro-Américains, les Latinos, les communautés de migrants, et les Amérindiens qui sont les plus touchés.» On a recensé près de trois millions d’Américain•e•s sans-abris l’année passée, dont de plus en plus de familles avec des enfants, spécialement des familles monoparentales. Face à ce constat, les premières mesures mises en œuvre par Barack Obama commencent à faire effet. Mais, en plus de se retrouver à la rue, un nombre grandissant d’Américain•e•s ne mangent pas à leur faim. Selon une étude du Ministère de l’agriculture, dix-sept millions de foyers américains doivent faire face à de sérieux problèmes pour se nourrir quotidiennement, alors qu’en 2007, ils n’étaient que quatre millions. L’augmentation est spectaculaire et ne risque malheureusement pas de cesser, car le taux de chômage est à la hausse. L’administration Obama s’était fixé comme objectif de réduire la faim aux Etats-Unis et même d’éradiquer la faim chez les enfants, d’ici 2015. Cette promesse risque de ne pas être tenue.

Katrina

Quatre ans après que l’ouragan Katrina a dévasté le Mississippi et la Louisiane, le déplacement de nombreuses personnes touchées par ce désastre continue. Des milliers de logements provisoires ont été démolis sans les garanties suffisantes que les ancien•ne•s résident•e•s seront placé•e•s dans les nouveaux lotissements. De plus, les logements à prix abordable demeurent rares. Même la visite éclair sur place en octobre de Barack Obama n’a que peu rassuré. Sur les 7,8 milliards de dollars que la Federal Emergency Management Agency (Agence fédérale de gestion des catastrophes, FEMA), devait distribuer aux gouvernements locaux, plus de 3,2 milliards de dollars dorment encore. Des fonds nécessaires pour compléter les travaux d’infrastructure tels la reconstruction des postes de police, des écoles, des hôpitaux et des bibliothèques. Sans logement décent ou infrastructure adéquate, de nombreuses personnes déplacées sont toujours incapables de rentrer chez elles. Au risque de gonfler le nombre aberrant d’Américain•e•s déjà dans les rues.