Molly Malekar est née en Inde et a émigré en Israël avec ses parents. Elle milite dans le Mouvement pour la paix. Elle est aujourd’hui leader de l’organisation de femmes pacifistes Bat Shalom à Jérusalem.
AMNESTY: Quel est l’impact de la politique d’occupation des territoires palestiniens sur la société israélienne?
Molly Malekar: Ses effets sur la population palestinienne sautent aux yeux. Mais pour ce qui est du camp israélien, les choses sont moins facilement perceptibles. Une majorité des Israéliennes et des Israéliens mènent une vie relativement normale. Or l’histoire nous montre que les sociétés qui maintiennent des colonies durant de longues périodes finissent par en payer le prix. Israël existe depuis soixante et un ans, et mène depuis quarante-trois ans une politique d’expansion territoriale. Les conséquences se font sentir sur plusieurs plans, en premier lieu sur celui du budget national, dont une grande partie est consacré au militaire, à la sécurité intérieure et au maintien des territoires occupés. Cet argent ne provient pas uniquement du budget militaire, il relève aussi d’autres postes comme les infrastructures, évidemment au détriment des besoins du civil.
Quels besoins entendez-vous concrètement?
Je parle de la santé, de l’éducation, de meilleures infrastructures et de routes pour la population à l’intérieur de la «ligne verte». Lorsque j’étais jeune, notre pays était renommé pour son système social. Aujourd’hui, il consacre toujours moins de moyens financiers aux domaines que j’ai mentionnés. Israël va au devant d’une grave crise sociale.
C’est-à-dire?
Lorsqu’une société est pendant tant d’années obsédée par les questions de sécurité, la guerre et l’occupation, l’armée devient le pilier de l’Etat. Il apparaît normal et légitime d’user de la violence pour résoudre les situations conflictuelles. On prépare des opérations militaires au lieu de miser sur la diplomatie et les mesures politiques. Cette attitude se transmet à la génération suivante. Lorsqu’un jeune homme de dix-huit ans qui fait son service militaire reçoit l’ordre de malmener des civils, cela ne peut pas rester sans conséquences. Les Israéliens s’imaginent que les militaires vont résoudre nos problèmes. Ce n’est pas un hasard si la plupart de nos premiers ministres sont issus de l’armée. La question est: comment une société peut-elle se déclarer démocratique lorsqu’elle bafoue en permanence les droits des autres?
La propension à recourir à la violence est-elle aujourd’hui plus fréquente en Israël?
La violence est un thème important du débat public. Lorsque nous en cherchons les raisons, nous devons être prudents. Au cours des vingt dernières années, les violences faites aux femmes sont devenues l’objet d’une attention particulière que jamais nous avons eue auparavant. C’est un succès pour le mouvement féministe. Nous avons réussi à mettre le sujet sur la table. Si nous parlons tant de la violence aujourd’hui, c’est parce que la population en a davantage conscience. Mais pas seulement.
Y a-t-il un tabou concernant ces effets négatifs que vous décrivez à propos dela politique d’occupation, ou est-ce qu’on en discute librement dans l’espace public israélien?
Il y a des débats dans les médias, où des psychologues et des travailleurs sociaux parlent d’une société «en état de siège». Ils évitent d’utiliser le mot «occupation» et évoquent plus volontiers «les seize années de guerre», le fait que nous sommes constamment menacés faute de sécurité à la frontière. Les Israéliens sont toujours plus souvent présentés comme des victimes. Je veux être réaliste: oui, il y a des conflits, oui, il y a eu la guerre. Mais nous devons réfléchir au rôle d’Israël et nous demander pourquoi ce conflit ne cesse jamais.
Quand on considère les attentats suicides et les tirs de missiles, il est compréhensible que la société se durcisse…
La peur est compréhensible, mais elle a des conséquences fatales. Elle nous empêche de voir les gens qui se trouvent de l’autre côté du mur comme des êtres humains et non comme des terroristes. Cette façon de voir ne laisse aucune place pour une alternative. Ce sont les droits des membres de sa propre com¬munauté qui en viennent ainsi à être menacés. Ce climat peut par exemple facilement justifier la censure. Ceux qui pensent autrement sont aussitôt perçus comme dangereux.
Les organisations qui militent pour la paix sont-elles également mises sous pression?
Le phénomène a deux faces: d’une part, en temps de guerre, les militants pour la paix suscitent davantage d’hostilité. Durant les deux dernières guerres du Liban, le nombre de celles et ceux qui manifestaient dans la rue était plus faible que jamais. Et ces quelques personnes devaient faire l’objet d’une protection particulière. D’autre part, nous pouvons crier des slogans et porter des banderoles, les gens ne nous remarquent plus et passent leur chemin.
Pourquoi cela ?
Nous sommes dans la même situation depuis trente ans. Les gens n’ont pas confiance dans les institutions politiques. Ils sont fatigués, mais aussi réalistes, et ils souhaiteraient simplement mener une vie normale. Selon des sondages parus dans la presse, une majorité de la population accepterait que les Palestiniens aient leur propre Etat à côté d’Israël. Lorsque les organisations pour la paix disent que la population palestinienne a droit à l’indépendance, la plupart des gens sont d’accord et pensent que cela va arriver.
Mais pourquoi est-ce que cette indépendance ne se réalise pas?
Certains milieux n’ont pas intérêt à ce que le conflit se termine, car ils perdraient du pouvoir. Parmi eux, il y a certaines parties de l’armée et de l’industrie d’armement. Et bien que les colons soient peu nombreux, leur lobby est puissant. Ils ont pu imposer leurs intérêts durant de nombreuses années. La plupart des Israéliens n’aiment pas tellement les colons, car ils ne veulent pas envoyer leurs fils dans les territoires palestiniens pour surveiller une poignée de familles enragées. Ils craignent cependant qu’un jour toute la région d’Israël soit revendiquée.
Où puisez-vous l’espoir que la paix soit tout de même possible?
Le mot «paix» est souvent galvaudé et il est devenu un cliché. En tant que personne réaliste, je pense qu’il faut faire une différence entre la paix et une forme de solution politique. Je considère mon travail comme un engagement envers mon pays et une contribution au renforcement de la démocratie. C’est une épreuve de longue haleine, un marathon. Le rôle de la communauté internationale est particulièrement important dans ce processus. Il faudrait qu’elle s’implique davantage pour amener les deux parties à la table des négociations.