AMNESTY: Pourquoi cet intérêt, cette passion, pour les Roms?
Yves Leresche: Il convient de préciser de quels Roms il s’agit: ceux de l’ex-bloc de l’Est, sédentarisés à 95% jusque dans les années 70. A la base, des artisans, commerçants, vendeurs, appelés à se déplacer pour leur activité professionnelle. Comme ils étaient visibles ici seulement en tant que mendiants, j’ai voulu montrer comment ils en étaient arrivés là et présenter une vision globale de leurs réalités chez eux.
Comment se passent les contacts, la mise en confiance pour prendre des photos?
C’est le résultat de douze voyages, 100000 km parcourus, une immersion totale, sans a priori ni limite dans le temps, afin de les comprendre en évitant le piège des clichés. Vivre avec eux m’a permis de présenter leur point de vue. J’ai vécu un rapport amical avec certains, mais je n’ai pas toujours été bien accueilli en raison des préjugés véhiculés sur eux par la presse. J’ai souhaité transmettre leur réalité à l’état brut, même si les institutions qui les soutiennent ne voulaient montrer que nos idéaux de l’intégration. Les comprendre pour pouvoir mieux les aider. Obtenir des photos sans mise en scène de la part des Roms a été difficile, car ils ne voulaient montrer que ce que l’on imagine d’eux, perpétuant ainsi leur mythe. Je voulais autre chose, par exemple des scènes de travail.
Quels pourraient être les points communs des Roms avec les sociétés dans lesquelles ils vivent?
Les Roms ont souvent adopté les règles de vie du pays dans lequel ils vivent, notamment en matière de religion. Leur spécificité reste cependant leur langue. Scolarisés sous la période communiste, au bénéfice d’avantages voulus politiquement, les Roms ont été rejetés lors des changements de régime. Ils ont tenté de reprendre leurs anciennes activités, mais la mondialisation économique a rendu leur artisanat peu rentable. L’ouverture des frontières les a incités à migrer pour des raisons économiques qui n’ont rien à voir avec des pratiques de nomadisme abandonnées depuis longtemps.
Quelles sont leurs perspectives de vie en dehors de la sédentarisation?
Les rejets et la paupérisation subis ont rendu l’accès à l’école et à la formation professionnelle très difficile. Les jeunes filles se retrouvent également privées d’école encore plus tôt que les garçons en raison des mariages précoces. Deux générations ont été sacrifiées par leur migration aléatoire. Les ONG ont souvent bien compris cette problématique et renforcent leur aide dans le domaine de l’éducation. Malheureusement, sans cette aide, l’Etat abandonne souvent ses efforts à l’endroit de cette minorité. La formation reste leur seule chance d’intégration dans leur pays ou dans le cadre d’une migration.
Roma Realities – Decade 2005-2015, du photographe Yves Leresche. www.esf.ch/leresche