« Un des grands problèmes de la Suisse en matière de prévention et de lutte contre le racisme et les discriminations, c’est le manque de bases légales contraignantes et complètes », constate Jacques Rossier, délégué cantonal à l’intégration en Valais. Une position partagée par la Commission fédérale contre le racisme (CFR) qui vient de publier un rapport, Le droit contre la discrimination raciale, dans lequel elle présente un système suisse lacunaire et laxiste dans ce domaine. Dans une analyse détaillée, la CFR met en évidence l’inefficacité de l’ordre juridique suisse en matière de protection contre les discriminations en comparaison avec d’autres pays. Preuves à l’appui, la CFR met en lumière les énormes carences de la législation suisse en matière de droits humains.
Exception valaisanne
Au-delà du droit, Jacques Rossier insiste surtout sur le manque de volonté politique. En Valais, la lutte contre le racisme et les discriminations reste secondaire : «Notre canton n’est pas comparable aux autres cantons, comme Neuchâtel ou le canton de Vaud qui, pendant ces dernières décennies, ont mis en place de bons moyens pour la politique d’intégration et de lutte contre les discriminations et le racisme. En Valais, c’est plus récent. Le service de la population et de l’immigration s’est s’équipé d’un coordinateur en 2002. Ce retard du Valais sur les autres cantons ne doit pas être interprété comme une négligence ; il faut en effet considérer de manière particulière la réalité sociale du Valais et de sa politique », précise-t-il.
En cause ? Notamment l’attitude de plusieurs partis au pouvoir. Certains politiciens valaisans osent dire clairement que consacrer un budget pour la lutte contre le racisme et les discriminations raciales est du gaspillage. D’autres, qui en revanche seraient d’accord d’investir de l’argent, trouvent que ce problème n’est actuellement pas une priorité. Difficile de faire face à ces blocages partisans. « La politique globale d’intégration fait qu’on relègue ce problème de société au second plan alors que, à mon avis, il est plus que primordial», déclare Jacques Rossier. Un avis partagé par Georg Kreis, président de la Commission fédérale contre le racisme : «Les discriminations graves contre les femmes ou contre les personnes handicapées sont depuis quelques années prises au sérieux, et toute une série de mesures ont déjà été adoptées.
Par contre, les mesures contre la discrimination raciale restent clairement insuffisantes. Combattre le racisme, ce n’est pas seulement la tâche de quelques-uns, c’est le rôle de toute la société.»
En Valais, il n’y a pas de service contre le racisme, contrairement à la grande majorité des autres cantons suisses. Mais ce n’est pas avec la crise économique actuelle que la politique va s’occuper prioritairement du racisme et des discriminations, redoute Jacques Rossier. « J’aurais bien aimé qu’il y ait des services particuliers, comme un service permanent qui serait à l’écoute des personnes se sentant discriminées. Mais cela nécessite des investissements financiers et salariaux qui apparaissent actuellement comme un manque de réalisme social à certains partis politiques », confie-t-il en déplorant amèrement le désintérêt des décideurs politiques en la matière. «Le Valais n’est pas un canton progressiste, toutefois beaucoup de choses s’y font sans que cela ne nécessite de grandes structures. Je pense que dans les écoles, par exemple, les jeunes sont bien mieux formés sur ces questions que dans les autres cantons. » Des jeunes qui, aux yeux de Jacques Rossier, représentent un grand espoir pour une bonne cohésion sociale en Valais.
Manque cruel de législation
La Suisse ne dispose pas d’un arsenal juridique complet et cohérent pour lutter contre la discrimination raciale. Dans d’autres pays, comme les Etats-Unis, le Canada et certains Etats de l’Union européenne, le droit est plus développé. L’une des carences de la législation suisse est le fait que ni le droit privé ni le droit administratif n’interdisent expressément la discrimination raciale, ce qui est particulièrement problématique pour les contrats de travail ou de bail. Le rapport de la Commission fédérale contre le racisme cite l’exemple d’une femme turque dont le bail a été résilié parce que certains voisins se sont plaints au bailleur de son foulard et de sa «musique islamique». Ses chances de gagner un procès étaient minces, donc la jeune étudiante a décidé de ne pas faire usage des voies de droit : «C’est frustrant. J’ai perdu mon logement et je ne peux rien faire. J’aurais aimé aller en justice, mais je ne veux pas risquer d’en supporter les conséquences.» Même des comportements qui discriminent l’ensemble d’une communauté ne sont pas punissables par la norme pénale antiraciste. L’exemple de deux jeunes Albanais du Kosovo qui voulaient se rendre dans une discothèque d’Egerkingen (canton de Soleure) est édifiant : un portier leur a refusé l’entrée en leur signalant que, sur ordre de la direction, la présence de ressortissants des pays balkaniques dans le local était indésirable pour le moment. Les deux jeunes gens ont déposé une plainte pénale auprès de la police criminelle. Le ministère public du canton de Soleure a classé la procédure contre le directeur de la discothèque, parce qu’il n’était pas prouvé qu’il avait donné au portier une instruction raciste. La Commission fédérale contre le racisme a émis dix recommandations destinées aux autorités suisses pour que la discrimination raciale soit enfin prise au sérieux.