Peut-on s’effondrer à l’intérieur de soi-même? Avoir le sentiment de ne plus exister, ni dans le regard des autres, ni dans son propre regard ?
Oui, nous démontre, trente ans après, Gladys Ambort en nous entraînant dans ce gouffre creusé par ceux qui anéantissent délibérément l’autre. De 1975 à 1978, encore adolescente, elle a connu les geôles argentines. Le double enfermement, la prison et, à l’intérieur de la prison, l’isolement pendant deux semaines. Celui qui coupe de la vie elle-même et laisse une fêlure irrémédiable. « Même si j’avais été polyglotte, je ne serais pas parvenue à expliquer que je ne me sentais plus moi-même. » tout s’efface, « le temps, le lieu, les référenceshumaines et sociales ». Après cette expérience limite, l’opposante ne parvient plus à reconstituer son unité intérieure parce que « trop de petits fragments ont disparu au moment de la rupture ». Il y a l’avant, il y a l’après. Le cran suivant, c’est la mort sans doute. L’humain n’est pas préparé à ce néant où seule « la voix de la solitude hurle ».
Cette souffrance trouvera-t-elle un jour un sens ou ne restera-t-elle pour l’auteur qu’une « connaissance inutile » ? un seul savoir peut-être : « Aucune vérité ne justifie l’élimination de ceux qui s’opposent à elle et l’être humain est une fin en soi dont aucune autre fin ne justifie qu’il soit aliéné ou sacrifié. »
Les tortionnaires ont voulu faire taire Gladys Ambort? Elle ne leur accordera pas cette victoire. Elle parle et donne aussi une voix à celles et ceux qui n’ont pu écrire, mort·e·s, disparu·e·s, englouti·e·s dans le silence. une voix à Isabel, à Paco, à Diana, à José, à Marta, à Maria-rosa… Et ce cri: «Plus jamais». Nunca más.
Brisée, Gladys Ambort, Genève, Labor et Fides, 2010, 215p.
Article paru dans le magazine AMNESTY, n°62, publié par la Section suisse d’Amnesty International, septembre 2010.