Ryszard Kapuściński était « le reporter absolu », selon Pierre Assouline. L’auteur polonais disparu en 2007 a su, il est vrai, observer, saisir et transmettre ce qu’il y a de plus authentique dans les nombreux pays qu’il a arpentés, de l’Ethiopie à la russie, en passant par la Chine et l’Angola.
Voyageur infatigable et conteur hors-pair, c’est en fin de compte toujours des petites gens et de leurs droits bafoués dont il parle, même lorsque ses ouvrages ont pour sujet des empereurs ou des chefs d’Etat. Le Shah ne manque pas à la règle: à travers le récit de la dynastie des Pahlavi, Kapuściński nous narre les vicissitudes d’un peuple soumis au joug d’un tyran mégalomane. une nouvelle traduction vient de paraître et inclut de nombreux passages évoquant l’ingérence des Etats-unis en Iran, des passages qui avaient été censurés dans la première édition de 1982. A cette époque, l’éditeur américain avait en effet préféré effectuer quelques coupes dans les passages les plus corrosifs.
Dans un livre kaléidoscopique, mêlant notes, extraits de journaux et transcriptions de documents audio, l’auteur s’intéresse à des histoires individuelles pour mieux faire ressortir l’horreur du régime. « Les cameramen, écrit-il, ont tendance à abuser des plans d’ensemble, à noyer les détails dans la masse. or c’est à travers les détails qu’on peut tout montrer, une goutte reflète l’univers. » Lui-même fidèle à cette posture, il part de témoignages pour ensuite disséquer la machinerie totalitaire mise en place par le dernier shah d’Iran. Analysant avec finesse l’implacable stratégie de la peur mise en place par le pouvoir et l’inéluctable processus révolutionnaire qui se développe malgré la répression, Kapuściński n’en oublie pas moins l’humain au cœur de l’histoire. une réflexion d’une saisissante actualité.
Le Shah, Ryszard Kapuściński, Paris, Flammarion, 2010, 241 p.
Article paru dans le magazine AMNESTY, n°62, publié par la Section suisse d’Amnesty International, septembre 2010.