Un travailleur décharge des sacs de blé d'un bateau étasunien.  © AP
Un travailleur décharge des sacs de blé d'un bateau étasunien. © AP

MAGAZINE AMNESTY Corée du Nord Made in North Corea

Article paru dans le magazine AMNESTY, n°62, publié par la Section suisse d’Amnesty International, septembre 2010.
La Corée du Nord renvoie l’image d’un pays fermé, isolé et aussi figé que le brushing de son « cher dirigeant » Kim Jong-il. Mais la réalité est autre. Les échanges avec l’extérieur sont fréquents. Chine, Corée du Sud et entreprises européennes commercent en sourdine avec le régime paria. Non sans risque.

 

Mai 2010, dans la banlieue nord de Pyongyang, des chefs d’entreprises nord-coréens, asiatiques et occidentaux se croisent dans les couloirs de l’Exposition des trois révolutions. L’ambiance est morose lors de cette treizième édition de la Foire internationale de commerce de Pyongyang. Depuis que les Etats-Unis et l’onu ont haussé le ton, faire du business en Corée du nord est devenu plus ardu. Fini l’élan initié en 2002. Selon l’administration sud-coréenne, en 2009, le commerce extérieur de sa voisine du nord s’élevait à 3,41 milliards de dollars, 10% de moins qu’en 2008.

Néanmoins, pour les deux cent septante entreprises présentes, dont vingt européennes, les quatre jours de la foire sont l’occasion de signer des contrats. Avec sa main-d’œuvre qualifiée et bon marché et ses ressources naturelles abondantes (minières et hydrauliques), le pays reste attractif. Attractif, mais aussi mal vu. Le made in North Korea fait grincer des dents, surtout en Europe. En 2001, British American Tobacco, la deuxième plus grande compagnie cigarettière au monde, a dû fermer ses usines de production face à la fronde des ONG et du gouvernement anglais. La même année, l’autorité américaine de surveillance des marchés, la Securities and Exchange Commission (SEC), épinglait le groupe technologique argovien ABB pour sa collaboration avec un «Etat voyou». Depuis, le groupe a quitté le pays pour des raisons financières et a cessé tout commerce depuis que la Corée du nord a rejoint la Birmanie et l’Iran sur la liste noire des Etats peu fréquentables. un choix pas forcément aisé, avoue Felix Abt, ancien directeur d’ABB Corée du nord: «Si ABB refuse de vendre de l’électricité à la Corée du nord, c’est la population qui va en souffrir. Les élites pourront toujours s’assurer un accès à l’électricité.» Mais d’autres entreprises ont moins d’états d’âme.

Contrôle étatique

La zone industrielle de Kaesong s’étend près de la ligne de démarcation. Elle incarne le fleuron de la coopération économique entre les deux Corées. Le site emploie un millier de Sud-Coréen·ne·s contre quarante-deux mille ouvriers et ouvrières nord-coréen·ne·s qui travaillent dans des conditions précaires. Selon une étude de human rights Watch en 2006, la plus récente sur ce sujet, le salaire des ouvriers s’élèverait à 67,40 dollars par mois, soit 0,3 dollar par heure. De plus, l’Etat ne se prive pas de ponctionner 30% de cette somme en compensation du logement et du système de santé gratuits…

Un espoir de changement ? La Direction de la coopération et du développement suisse (DDC) a créé une école pilote, la Pyongyang Business School, qui a formé cent étudiant·e·s en six ans. «un des cours touche à la responsabilité sociale des entreprises. on enseigne à nos étudiants que s’ils adoptaient ce type de normes (pas de travail des enfants, salaires décents, conditions de travail sûres et saines, respect de l’environne­ment), leurs entreprises auraient des chances de devenir des fournisseurs pour les grandes entreprises étrangères, ce qui leur apporterait un revenu sûr et régulier », explique Felix Abt, qui est également cofondateur de l’école. Le bureau de la DDC à Pyongyang fermera ses portes fin 2011, mais « les autorités souhaitent que l’école perdure. Elles observent que le lien avec l’étranger doit être maintenu », ajoute Katharina Zellweger, directrice du bureau de la DDC. un lien essen­tiel, car l’échec de la réforme monétaire de novembre 2009 a plongé le pays dans une crise économique et alimentaire tragique. Pyongyang a plus que besoin de devises et doit donc à nouveau attirer des investisseurs étrangers. Pour l’instant sans grand succès.