Sakineh Mohammadi Ashtiani. Ce nom a désormais fait plusieurs fois le tour de la planète pour devenir le symbole de la lutte contre la lapidation. Mais le cas de cette femme, condamnée à cette forme de mise à mort particulièrement cruelle pour adultère, n’est pas isolé. selon le dernier rapport d’amnesty international sur la question, au moins six personnes ont été exécutées par lapidation en iran depuis 2006. après un moratoire sur cette pratique durant la présidence de Mohammad Khatami, pourquoi Mahmoud Ahmadinejad a-t-il décidé de la réintroduire? Est-il l’otage des islamistes à l’emprise grandissante, ou la lapidation s’inscrit-elle dans un système répressif visant à maintenir la société iranienne sous une chape de plomb ?
Le président iranien apparaît avant tout comme un traditionaliste se réclamant du noyau dur de l’héritage de la révolution iranienne, comme le confirme Mohammad-reza djalili, politologue spécialiste du Moyen-Orient: «Globalement, depuis l’arrivée des conservateurs au pouvoir, on peut parler de retour aux années Khomeiny. L’intermède des gouvernements de rafsandjani et de Khatami n’aura été qu’une accalmie dans la répression violente, tandis qu’ahmadinejad cherche à se profiler comme celui qui incarne le retour aux sources.» Une tentative de s’approprier l’héritage des pères fondateurs du régime qui s’accorde parfaitement avec la politique répressive en place. Farian sabahi, spécialiste de l’iran et enseignante aux Universités de turin et de Genève, ne voit d’ailleurs rien de fortuit dans la condamnation spectaculaire de Sakineh, qui surgit à la suite du bras de fer entre les autorités et la société civile né des réactions populaires au scrutin présidentiel de juin 2009.
L’emprise de la charia
Malgré sa posture ouvertement ultraconservatrice, Ahmadinejad était pourtant embarrassé lorsque, en marge du sommet contre la pauvreté organisé à new York par les nations unies en septembre dernier, il a accepté une interview pour la chaîne américaine ABC. Interrogé sur la question, le président iranien a créé la surprise en répondant que sakineh n’avait jamais été condamnée à la lapidation et que cette information avait été inventée de toutes pièces. il a également parlé de la lapidation comme d’une «ancienne méthode qui devait être changée». Ce brusque revirement, en contradiction ouverte avec les décisions judiciaires officielles, en a surpris plus d’un. incohérence, double discours, brouillage des pistes ? Ces propos contradictoires laissent imaginer que la marge de manœuvre d’Ahmadinejad est plus réduite qu’il n’y paraît.
Obscurantiste ou non, le président iranien n’a pas les pleins pouvoirs face aux juges. selon le prix nobel de la paix shirin ebadi, interrogée par le Guardian, la loi islamique en vigueur en iran suite à la révolution islamique est « extraordinairement sévère, même en considération des standards du monde islamique». L’adultère qui, selon la charia, représente une faute d’une gravité particulière, est passible de lapidation selon le Code pénal iranien en vigueur, tandis que les juges sont en droit de prononcer la peine en se basant uniquement sur leur «connaissance» du cas, ce qui met en péril les garanties judiciaires des accusé·e·s. sans compter que ce sont eux qui, en dernier recours, décident du sort de l’accusé·e. Comme le souligne Drewery Dyke, chercheur auprès d’Amnesty International sur l’Iran, «les juges contrôlent ce genre de cas à 100%». C’est donc uniquement une réforme du code pénal qui pourrait définitivement reléguer la lapidation au passé.
Isolement croissant
Entre la répression sanglante des manifestations de juin 2009 et l’enrichissement d’uranium à des fins civiles suspectes aux yeux de beaucoup, l’«affaire Sakineh» vient conforter la vision occidentale de l’Iran en tant qu’«Etat voyou». Est-ce de l’acharnement, comme le laissent entendre les dirigeants iraniens ? Des pétitions en faveur de l’Iranienne circulent, il est vrai, partout sur Internet, alors que, ailleurs dans le monde, d’autres meurent sous les pierres sans provoquer autrement de remous dans la presse internationale. C’est le cas notamment de deux jeunes Afghans, lapidés en août dernier pour avoir eu une «relation» alors que la jeune fille était déjà promise à un autre. Il existe pourtant une différence de taille : hors d’Iran, les cas de lapidations de ces dernières années ont eu lieu dans un cadre extrajudiciaire. Si quelques rares Etats, à l’instar du Soudan, de l’Arabie saoudite et d’une partie du Nigéria, continuent d’inclure dans leur code pénal la mise à mort par lapidation, l’Iran est l’unique pays à l’appliquer suite à des décisions strictement judiciaires. C’est donc bien par son maintien de la lapidation dans le cadre d’un «Etat de droit» que l’Iran fait figure de cavalier seul aujourd’hui. Une posture pour le moins anachronique en ce début de XXIe siècle.
En attendant, le sort de Sakineh est toujours très incertain. Même si Ramin Mehmanparast, porte-parole du Ministère des affaires étrangères iranien a fait savoir que l’exécution de sa peine avait été suspendue, rien ne garantit aujourd’hui qu’elle ne soit pas en fin de compte exécutée par pendaison. Echapper aux pierres pour la corde, voilà une bien maigre consolation pour celle qui, de surcroît, aurait avoué son « crime » sous la torture. A ses côtés, ce sont au moins onze personnes, dont sept femmes, qui croupissent dans leur geôle en attendant leur lapidation. Supprimer cette pratique barbare serait certes un grand pas en avant pour l’Iran, mais beaucoup reste : le nombre de condamnations à mort place ce pays dans un sinistre peloton de tête, en deuxième position juste après la Chine. Le nom de Sakineh pourrait devenir, pour l’Iran, synonyme d’isolement accru. Ou, peut-être, l’occasion de se racheter une crédibilité auprès du reste du monde.