AMNESTY: Vous avez annoncé récemment vouloir changer le nom de la commission, le terme «torture» vous posant problème. N’y aurait-il pas de torture en Suisse?
Jean-Pierre Restellini: non, le problème est plutôt qu’un tel nom, comme carte de visite, ne facilite pas le dialogue. C’est évident que quand vous allez frapper à la porte d’un poste de police et que vous vous présentez comme la Commission nationale de prévention de la torture, les gens sont choqués. ils se sentent agressés et se mettent en position défensive. J’aurais préféré que la commission ait un autre titre, par exemple Commission nationale de l’inspection des lieux de privation de liberté.
Une fois que les portes de ces centres de détention s’ouvrent, qu’est-ce que vous y voyez ?
Notre expérience est pour l’instant très modeste. nous avons visité un centre de détention pour requérants d’asile déboutés, la prison pour femmes d’hindelbank, et le poste de police de Brigue. Malheureusement, je ne peux pas encore en parler en détail. Mais, si je me base sur mon expérience européenne, je peux affirmer que la torture ne se produit pas tellement dans les prisons mais plutôt dans les postes de police, car c’est dans les toutes premières phases de la privation de liberté que le risque de torture est le plus élevé. en prison, il peut y avoir des passages à tabac: quand un détenu a par exemple agressé un surveillant, on lui fait bien comprendre, la nuit, qu’il a eu tort. en suisse, je serais assez clair: non, il n’y a pas de torture en prison. avec néanmoins une réserve à propos de certains isolements prolongés.
Votre commission est censée visiter vingt-cinq à trente établissements de privation de liberté par année. Mais vous n’en avez vu que trois en 2010…
Notre commission ne fonctionne réellement que depuis six mois. de plus, l’année n’est pas encore terminée: nous avons encore plusieurs inspections déjà programmées avec une perspective d’une dizaine de visites d’ici à la fin de l’année. il a fallu aussi que nous tombions d’accord entre nous sur le fonctionnement de notre commission: les douze membres de la commission n’ont pas du tout les mêmes sensibilités. Certains estiment qu’en suisse tout va plutôt bien et qu’il ne faut pas changer grand chose. et il y en a d’autres qui pensent que des améliorations sont nécessaires à très court terme. Les membres de la commission ont été choisis pour leurs activités professionnelles antérieures, ce sont des gens qui sont déjà dans le milieu. Ce qui est un énorme avantage mais aussi un risque. ils me disent les uns après les autres qu’ils ne peuvent pas travailler sur telle ou telle mission, car ils sont trop impliqués. a partir du moment où vous devez contrôler, élaborer des conclusions critiques et que vous savez que celui qui va les recevoir est un ami ou une institution dans laquelle vous avez travaillé, est-ce que votre objectivité est garantie?
Du point de vue des finances, votre budget vous permet-il de mener à bienvotre mandat ?
Cette année, on a réellement commencé à travailler à partir du mois de mai. On a donc pu économiser six mois de budget !
Et l’année prochaine ?
Le budget est insuffisant. Les membres de la commission sont déjà très engagés dans leur vie professionnelle et sont donc très peu disponibles. Quand il faut trouver une date à laquelle au moins trois personnes puissent effectuer une visite, ce n’est pas évident. nous allons devoir vraisemblablement faire appel à des experts externes rémunérés.
Avez-vous le sentiment d’être lâché par les autorités ?
J’ai vu quelques parlementaires, qui me demandent d’abord de faire mes preuves auprès des cantons. a partir du moment où vous faites un rapport critique à l’égard d’un canton, ils ne sont pas contents. ils risquent de dire que cette commission ne sert à rien, donc qu’il n’est pas question d’augmenter le budget. La source de financement dépend du bon vouloir de ceux que la commission est amenée à critiquer. Cherchez l’erreur !
Votre commission ne risque-t-elle pas de devenir alibi ?
Pour cette année, avec le budget qui est le nôtre, on arrive à faire ce qu’il faut. Ce que je suis en train de constater, c’est que les différences de sensibilités au sein de la commission et les récusations incontournables que je viens d’ évoquer sont importantes. et si d’aventure nous devions être encore confrontés à un problème budgétaire, il est évident que ça nous ne pourrions pas travailler correctement et donc risquer de devenir une commission alibi.
Vous avez eu l’occasion de visiter de nombreux lieux de détention en Europe avec votre travail pour le Comité pour la prévention de la torture du Conseil del’Europe (CPT). Où se situe la Suisse par rapport aux pays voisins ?
En ce qui concerne les conditions matérielles (taille de la cellule, nourriture et éclairage), parmi les premiers de classe. Mais maintenant, le problème suisse, c’est celui de ces délinquants qui présentent des troubles mentaux graves et pour lesquels la seule chose qu’on sait faire pour l’instant, c’est de les mettre dans les quartiers de haute sécurité faute de place dans des établissements appropriés. On ne fait qu’aggraver leurs troubles en les isolant et en les traitant comme des fauves. Ce qui a abouti indirectement à l’affaire skander Vogt.
La mort du détenu Skander Vogt enmars dans sa cellule de haute sécurité, au pénitencier de Bochuz, était donc prévisible ?
Bien sûr. Pour traiter des gens, il faut avoir du personnel qui soit non seulement formé, mais qui soit disponible. aujourd’hui, avec la surpopulation carcérale, les gardiens sont débordés. Leur demander de s’impliquer dans une relation plus humaine et cadrante avec les détenus, c’est une partie souvent perdue d’avance. il est évident que dans un quartier de haute sécurité, la prise en charge est encore plus difficile. Comment traiter des gens isolés 23h sur 24h dans leur cellule?
Autre drame, celui du décès d’un requérant d’asile débouté survenu en mars à l’aéroport de Zurich lors de son renvoi. Seriez-vous prêt à assumer lerôle d’observateur neutre ?
Avec douze membres qui sont difficilement mobilisables, il est exclu que la commission puisse assumer ce rôle d’observateur. il y a aujourd’hui entre vingt et trente vols par an, même si cette année il y en a eu moins. Certains de ces vols durent trois jours. Même si je pense que ça fait partie de nos obligations, matériellement ce n’est pas possible. Ce que j’ai proposé à l’Office des migrations, c’est que nous puissions encadrer, c’est-à-dire choisir, coacher et surveiller ces observateurs. et nous allons continuer à faire des pointages pour voir comment l’office travaille.
Vous avez aussi proposé de filmer ces rapatriements ?
Exactement. Quand j’ai dit cela à l’office, ils ont eu peur. Mais l’idée était de les filmer afin que la population suisse puisse se rendre compte réellement de ce que sont ces rapatriements. On m’a dit que c’était trop émotionnel. Mais quand quelqu’un hurle parce qu’il est persuadé qu’il risque la torture à son arrivée dans son pays, il ne faut pas se voiler la face.