Un jeune homme se reposant après son repas. Camp de Brünig, le 10 novembre 2010. (photo prétexte). © Jacek Pulawski
Un jeune homme se reposant après son repas. Camp de Brünig, le 10 novembre 2010. (photo prétexte). © Jacek Pulawski

MAGAZINE AMNESTY Aide d'urgence Témoignages

Article paru dans le magazine AMNESTY, n°64, publié par la Section suisse d’Amnesty International, février 2011.
Quatre personnes déboutées de l’asile dévoilent leur quotidien, avec ou sans aide d’urgence.
«J’ai dit non à l’aide d’urgence»

Lorsqu’il a appris que l’asile lui était refusé, Lamin*, un Gambien de vingt-cinq ans, s’est vu proposer l’aide d’urgence, contre signature d’une attestation avec une date de départ. «Signer ce papier, cela signifiait accepter de retourner en Gambie.» Face à cette impasse, Lamin a choisi de garder un peu de dignité en usant de l’un des rares droits qui lui restait: ne pas signer son retour.

Le jeune homme arrive à Genève fin 2008. Sans papiers, il est transféré à Lucerne, où il entame une procédure d’asile. Souffrant de problèmes psychiques, il séjourne à deux reprises en clinique. En avril 2010, la réponse négative de l’Office des migrations tombe.

Les conséquences de son refus de l’aide d’urgence sont douloureuses. D’un jour à l’autre, Lamin s’est retrouvé sans toit, sans ressources. «Depuis, je vis avec une tension constante. J’ai des maux de tête, je n’arrive pas à dormir, je pense trop. Je pense parfois à m’ôter la vie.» il s’est déplacé en Suisse romande. «Je tiens grâce à mes amis, qui n’ont pas voulu me laisser dans la rue et m’hébergent clandestinement. Mais en m’aidant, ils prennent beaucoup de risques. C’est un stress supplémentaire.» La solidarité est de mise et Lamin dépend entièrement de ses compatriotes, eux-mêmes au régime de l’aide d’urgence. La plus grande crainte du jeune Gambien, c’est un contrôle de papiers. Alors, il sort chaque matin de la maison, y revient quelques heures plus tard pour y rester caché toute la journée. parfois, il s’accorde le risque de sortir en ville le week-end. «Je voudrais une vie meilleure, mais j’ai les mains liées.»

«La volonté de Dieu»

Ragendra* pose un cahier sur la table. Y sont notées, en une longue liste, les valeurs de sa tension artérielle. La nuit, il dort avec un appareil respiratoire. Cet homme de soixante-quatre ans est très atteint dans sa santé. Autrefois policier au service du roi du Népal, il a été victime de torture après le meurtre de celui-ci. Ragendra s’est enfui et a réussi à atteindre l’italie grâce à des passeurs. il est arrivé en Suisse en 2007. «Les soins médicaux sont bons. Mais mon problème, c’est la situation dans laquelle je vis», dit cet homme frêle emmitouflé dans sa veste en laine polaire. L’Office des migrations n’est pas entré en matière sur sa demande d’asile; le Tribunal fédéral administratif n’a toujours pas statué sur son recours. Ragendra aimerait que les autorités prennent en compte ses certificats médicaux. «Je m’attends chaque jour à recevoir une réponse», dit-il. Que se passerait-il si celle-ci était négative? «Je ne peux pas retourner au Népal, c’est bien trop dangereux», dit-il sans se départir de son sourire. Sa famille vit à la frontière de l’Inde. il ne l’a pas revue depuis 2006. Ragendra vit depuis 2008 dans le centre de transit d’Aarwangen. il reçoit six francs par jour sous forme de bons d’achat. Les relations avec les autres habitant·e·s ne sont pas toujours faciles. Le Népalais est très religieux, et pour supporter sa situation, il s’en remet à une puissance supérieure. «Je suis en paix. C’est Dieu qui m’a amené ici. C’est sa volonté.» Sa chambre minuscule est tapissée de citations bibliques. pour se distraire, il écrit des hymnes à la louange de Dieu en népalais et en anglais. il les chante volontiers à qui veut les entendre. Et l’espace d’un instant, il a l’air heureux.

«Je vis au jour le jour»

Annick*, trente-trois ans, est arrivée du Cameroun en 2002 avec un homme qui lui a promis le mariage. Deux ans après, il  la quitte. En 2005, Annick fait une demande d’asile, tout de suite refusée. Elle vit depuis à l’aide d’urgence. En 2008, elle afait une seconde demande d’asile, pour laquelle elle attend toujours une réponse. Annick vit dans un studio, avec 9.50 francs par jour.

«Pour manger, je dois économiser trois ou quatre jours avant de pouvoir faire des courses. Dès que j’ai besoin d’autre chose, je n’ai pas assez. La journée, je suis des programmes d’occupation et un cours d’alphabétisation. Quand je reste seule, je déprime. Je me dis que je suis nulle, je me sens inutile. Ma vie n’a pas de sens. Quand je marche dans la rue, j’ai honte. Cette situation nous fait perdre notre dignité. nous, les déboutés de l’asile, nous ne sommes rien. On nous considère comme des criminels. Dans les centres, les agents de sécurité nous maltraitent. De toute façon, nous sommes toujours en tort.

Je ressens beaucoup de colère. pourquoi ne me laisse-t-on pas travailler ? Je ne suis pas handicapée ! Je suis jeune, j’ai besoin de travailler. Je veux être indépendante, payer mon appartement, payer mon AvS. Je ne veux plus qu’on me donne de l’argent. J’aimerais faire une formation d’assistante en soins. Je me suis renseignée, la Croix-Rouge m’a même téléphoné pour me proposer un stage d’observation. Mais quand on m’a demandé mes papiers, c’était l’impasse.

Quitter la Suisse, je ne le peux pas. Les autorités devraient se mettre à notre place. Beaucoup de requérants viennent en Europe pour fuir la pauvreté et ne peuvent pas rentrer les mains vides. Si seulement je pouvais faire une formation, je pourrais ensuite exercer un métier au Cameroun.

Mais le temps passe et je m’affaiblis. Je prends des médicaments pour soigner ma dépression et j’ai fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique. Dernièrement, je suis tombée enceinte mais j’ai perdu mon bébé au septième mois. Les médecins m’ont dit que j’étais trop fragile pour supporter la grossesse. Mon avenir? Je ne sais pas. Je vis au jour le jour, dans la peur. plus je reste dépendante de l’aide d’urgence, plus il me sera difficile d’être indépendante un jour.»

«Je rêve de terminer ma formation»

«Vous êtes illégale, vous n’y avez pas droit.» voici la réponse que reçoit Aline* lorsqu’elle demande à suivre un cours d’allemand. La Congolaise parle certes déjà une langue nationale, puisque sa langue maternelle est le français. Elle aimerait juste pouvoir mieux s’intégrer dans son lieu de vie actuel, la commune bernoise d’Aarwangen. Elle habite au centre de transit, avec son mari et sa fillette de trois ans, Sonia, dans une unique chambre pleine à craquer. ils y seront bientôt quatre, car Aline attend un bébé pour le mois de mai. «Les jours se ressemblent tous ici: nous nous levons, nous mangeons, nous restons dans nos chambres, nous regardons la télévision. La petite voit toujours la même chose, comment pourrait-elle se développer et apprendre?» Aline fait la cuisine avec ce qu’elle trouve dans le magasin du centre. Chaque semaine, elle touche des aliments pour l’équivalent de 126 francs, le montant calculé pour une famille de trois personnes. Elle ne reçoit jamais d’argent liquide. «On peut gagner quelques bons en faisant du nettoyage, ce qui nous permet d’aller à Berne en train.» La liberté de mouvement de cette femme pleine d’énergie n’en est pas moins limitée. «Et pourtant, nous aimerions tant faire quelque chose, participer à la prospérité de la Suisse!», dit-elle, désespérée. Avant qu’elle en soit réduite à l’aide d’urgence, en mai 2009, Aline avait commencé une formation d’aidesoignante. Elle prenait chaque matin le train pour Moutier. Elle a dû tout interrompre. «parfois, je me demande qui il faut être pour que la Suisse vous accueille. Regardez notre dossier, nous n’avons rien fait de mal! Mais on ne veut pas de nous ici. Alors que des dealers peuvent rester.» Aline rêve de terminer sa formation, que son mari ait du travail, qu’ils habitent un petit appartement et que leurs enfants aient les mêmes chances que les autres – Sonia, l’enfant à naître, et les deux aînés, qui sont restés au Congo et qu’Aline n’a pas vus depuis quatre ans.

* Prénoms fictifs