Depuis trois ans, les personnes qui reçoivent une réponse négative à leur demande d’asile en Suisse peuvent être exclues de l’aide sociale et placées à l’aide d’urgence. Une aide qui ne concerne que les requérant·e·s débouté·e·s n’ayant plus de statut légal. pour les Suisses qui vivent dans la pauvreté, l’aide sociale prévoit la prise en charge du loyer, de l’assurancemaladie, et un maigre pécule pour vivre. L’aide d’urgence, elle, ne permet même pas de vivre, juste de survivre. Des personnes peuvent se retrouver ainsi logées dans des abris antiatomiques ou des containers et reçoivent, selon les cantons, de la nourriture ou quelques francs par jour (entre six et douze francs) pour s’acheter de quoi survivre. Des femmes vivent leur grossesse puis la vie avec leur nourisson dans des centres d’hébergement où toute vie privée est partiquement impossible. Un traitement censé les décourager de rester en Suisse, comme l’affiche clairement l’Office des migrations (ODM): «Le but de cette mesure consiste à inciter les personnes concernées à quitter la Suisse», rappelait un communiqué publié en mai 2010.
Tracasseries administratives
L’aide d’urgence est inscrite dans la Constitution fédérale. L’article 12 mentionne que «quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d’être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine». Un acte humanitaire qui a été dévoyé de son sens et qui se traduit dans des procédures dégradantes, voire humiliantes, rendues compliquées par des tracasseries administratives inutiles. A Berne, les personnes au bénéfice de l’aide d’urgence doivent s’annoncer quotidiennement au centre qui distribue la nourriture et ne sont autorisées à quitter l’endroit où elles logent que le week-end. Dans les Grisons, ces personnes doivent signer un registre officiel deux fois par jour et n’ont pas l’autorisation de quitter leur centre d’hébergement, sous peine de devoir renouveler leur demande, ce qui occasionne de nouvelles tracasseries. Des enfants sont eux aussi victimes de ce système: en 2009, sur 5826 personnes placée·s à l’aide d’urgence, 676 étaient des mineur·e·s de moins de quinze ans.
Mesures efficaces?
L’ODM a commandé un rapport l’an dernier pour évaluer l’efficacité des mesures mises en place. Un bureau de consultant·e·s, le bureau vatter, a publié son rapport en mai 2010, sans prendre la peine de consulter aucune association d’aide aux migrant·e·s ni les personnes placées à l’aide d’urgence. «Ce rapport ressemble fort à une expertise de complaisance», analyse Michael Sutter, de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés. «Les recommandations vont dans le sens de l’Office des migrations, qui réclame davantage de répression.» Pourtant, entre les lignes du rapport, le constat d’un échec du système est présent : «On constate que les personnes qui ont passé un certain temps en Suisse après la décision d’exclusion de l’aide sociale ne vont, selon toute probabilité, pas quitter le pays.» Et le rapport Vatter souligne même que «du côté des autorités, on perçoit un potentiel certain de frustration et d’embarras face au groupe de personnes dont l’exécution du renvoi n’est pas possible et pour lequel il n’existe souvent aucune perspective d’autorisation de séjour».
L’ODM considère que l’objectif de faire partir les gens est atteint: «La suppression de l’aide sociale aux requérants d’asile déboutés s’est avérée efficace. En effet, seule une minorité (15%) des requérants continue de percevoir l’aide d’urgence au bout d’un an. Ce pourcentage démontre que la majeure partie d’entre eux a quitté la Suisse», relevait le communiqué de presse de mai 2010. Pourtant, le même office, par la voix du suppléant au chef de la section subventions, Marcel Schneider, reconnaît que le pourcentage de gens dont on sait qu’ils ont effectivement quitté le pays (ceux qui ont été expulsés et ceux qui sont partis volontairement) est relativement restreint : «L’ODM indique dans son rapport annuel de l’exclusion de l’aide sociale combien de personnes, parmi celles qui demandent l’aide d’urgence, ont quitté la Suisse de façon contrôlée. En 2008, 287 personnes (soit 12% des personnes à l’aide d’urgence) ont quitté la Suisse de façon contrôlée. En 2009, elles étaient 988, soit 17% des personnes qui perçoivent l’aide d’urgence.»
Alors, si au bout d’une année, 17% ont quitté la Suisse et 15% restent dans le système, que deviennent les deux tiers des requérant·e·s débouté·e·s qui ne quittent pas la Suisse «de façon contrôlée» et qui ne sont plus dans les centres d’aide d’urgence? Il est probable que ces personnes disparaissent dans la nature, comme le reconnaît indirectement le canton des Grisons dans son budget 2010, où figure noir sur blanc la ligne «Untergetauchte» (littéralement: les personnes «disparues»): l’estimation se portait à cent cinquante personnes, contre quarante qui quitteraient volontairement le pays. Une estimation qui peut certainement être étendue aux autres cantons: les personnes qui disparaissent dans la nature seraient donc près de quatre fois plus nombreuses que celles qui quittent volontairement la Suisse.
Les cantons font d’ailleurs la grimace devant le système mis en place il y a trois ans par la Confédération. En effet, ce sont eux maintenant qui doivent assumer les coûts de l’aide d’urgence, avec la contribution financière de Berne. Entre 2008 et 2009, les coûts de l’aide d’urgence ont plus que triplé, passant d’un peu moins de dix millions de francs par an à près de trente millions. Une augmentation due notamment aux coûts médicaux. Car les personnes à l’aide d’urgence souffrent de cette situation: «Le durcissement de la loi se traduit par une dégradation des conditions environnementales, ce qui a un impact sur la santé mentale des gens. Notre étude montre que 40% des personnes déboutées présentent un état dépressif grave. C’est énorme pour une population plutôt jeune !», constate le Dr Patrick Bodenmann, responsable de l’Unité des populations vulnérables à la Polyclinique médicale universitaire
de Lausanne.
Criminalisation
Une situation due notamment au fait que les personnes qui ont reçu une décision négative n’ont plus le droit de travailler, même si elles ont déposé un recours et qu’elles attendent une nouvelle décision durant plusieurs mois. «En leur interdisant de travailler, on les pousse dans les bras de la criminalité», s’insurge François de Vargas, membre du comité de l’Observatoire suisse du droit d’asile et des étrangers. «Certaines personnes se retrouvent à l’aide d’urgence durant des années, alors qu’elles ne reçoivent tout simplement pas de papiers de leur ambassade pour pouvoir repartir. Ce n’est pas de leur faute, mais elles sont quand même punies!» Sans compter que le simple fait de séjourner sans autorisation en Suisse, même en étant «bénéficiaires» de l’aide d’urgence, peut valoir une condamnation à plusieurs mois de prison ferme. Leur seule présence est un délit.