Tout est à faire. Organisation de la société civile, réforme du système judiciaire et de l’armée : après la victoire d’Alpha Condé le 7 novembre dernier, de nombreux défis attendent la Guinée. Le pays a vécu ses premières élections transparentes et démocratiques depuis cinquante ans. Pendant que la Côte d’Ivoire se déchire, la Guinée commence sa reconstruction. «En Côte d’Ivoire, Gbagbo était convaincu qu’il allait garder le pouvoir. D’ailleurs, son slogan était "on gagne ou on gagne"», explique Elizabeth Côté, directrice canadienne de la Fondation pour les systèmes électoraux en Guinée (IFES). En Guinée par contre, Cellou Diallo a accepté sa défaite et a su calmer ses partisans.
Les violences interethniques qui ont fait rage en Guinée après les résultats des élections sont bel et bien terminées, selon Elizabeth Côté. La société est néanmoins encore très polarisée même si la population est plus mélangée qu’en Côte d’Ivoire. Quelques débordements ont encore lieu dans les marchés de la capitale, mais ce sont des «affrontements maîtrisés», rapporte El Bachir Diallo, fondateur du Centre de promotion et de protection des droits humains (CPDH).
Alpha Condé ayant remporté les élections avec une faible marge (52%), il doit montrer qu’il est capable de représenter toute la population guinéenne. «Le gouvernement qu’il a formé est très pluriel, même si certaines attributions de ministères ne sont pas bien comprises», affirme Elizabeth Côté. Vision contestée par El Bachir Diallo, qui a été observateur des élections : «La plupart des ministres sont proches du président et de son parti. C’est un manque d’ouverture alarmant.» Pour Elizabeth Côté, il est légitime que le président s’entoure de ses hommes de confiance. «En revanche, j’espère que le gouvernement saura faire face aux prédateurs très habiles qui tournent autour des élus et prennent en otage le pouvoir. C’est un problème fréquent en Guinée.»
Combattre l’impunité
Quant à la société civile, elle doit s’organiser et trouver sa place dans le processus de reconstruction de l’Etat. «Les organisations ont commencé un processus de dialogue, dans chaque capitale régionale. C’est un grand défi dans un pays où il n’y a jamais eu d’Etat de droit», rapporte Elizabeth Côté. Pour les citoyen·ne·s, la priorité est d’améliorer leurs conditions de vie, dans un pays très appauvri, qui se situe au 156e rang de l’indice de développement humain 2010.
Autre défi, réformer l’armée après des années de corruption et d’abus. Les gens ont encore en tête les événements tragiques du 28 septembre 2009, lorsque massacres et viols ont été perpétrés par les forces de l’ordre. «On s’attendait à ce qu’Alpha Condé institue un ministère de la réconciliation nationale, pour rendre justice et réparation aux victimes.» El Bachir Diallo ne cache pas sa déception : «Aujourd’hui encore, des femmes sont violées par les forces de l’ordre. En Basse-Guinée, des gens sont dépossédés de leurs terres par l’armée.» Selon le militant des droits humains, tant que l’impunité perdurera, les violations des droits humains seront toujours d’actualité. Une autre organisation des droits humains, l’Organisation guinéenne des droits de l’homme, insiste sur «l'urgence de réformer le système judiciaire et de respecter pleinement le droit à la justice». Pour El Bachir Diallo, c’est également une condition pour le relèvement du pays. «Si les nouvelles autorités acceptent de lutter contre l’impunité, le décollage de notre pays n’est qu’une question de jours.»