Le 13 novembre, quelques jours après des élections vivement critiquées par la communauté internationale, la junte birmane libérait l’opposante Aung San Suu Kyi et mettait ainsi un terme à sa peine de sept ans d’assignation à résidence. Si beaucoup y ont vu une manœuvre du gouvernement pour amadouer l’opinion publique et détourner l’attention d’un scrutin qualifié de mascarade, certaines personnes ont espéré un pas vers la libération d’autres détenu·e·s politiques, voire un assouplissement du régime. passée cette euphorie, le constat est plus qu’amer. Si le gouvernement a fait mine de bonne volonté, en laissant notamment les médias locaux couvrir sous surveillance les élections et la libération de la lauréate du prix nobel de la paix, ces bonnes intentions se sont vite envolées. Cela confirme que les militaires se sont livrés à un stratagème cynique.
Ne pas déifier la lauréate
Dans une telle situation, quelle peut bien être la place de la dame de Rangoon ? Avant de se poser une telle question, Renaud Gremaud, chercheur à l’Université de Hong-Kong, déclare qu’il faut à tout prix éviter de sublimer le personnage d’Aung San Suu Kyi, car son champ d’action politique est plus que restreint, malgré la ferveur qu’elle provoque. «Si on cède à l’idéalisation de son personnage, on ne pourra qu’être déçu», assure Mireille Boisson, responsable de la coordination Myanmar pour Amnesty international. «C’est une prisonnière politique comme une autre. Certes, elle a un certain prestige, mais elle n’est pas la seule.»
La lauréate du prix nobel de la paix se voit donc contrainte de jouer sur un tableau autre que politique si elle veut venir en aide à son peuple. Mais il lui faudra surtout du temps pour trouver sa place, après avoir été coupée aussi longtemps du monde extérieur. C’est l’avis du journaliste suisse Claude Schauli, spécialiste du Myanmar, qui vient de réaliser un film sur la région de Mae Sot, à la frontière entre Myanmar et Thaïlande : «Il serait souhaitable qu’au lieu d’être une opposante, elle devienne une médiatrice entre les minorités ethniques en guerre et les militaires. Car le pays est dans un sale état. Mais est-ce que la junte va la laisser faire? Car si elle réussit sa mission, elle deviendra encore plus populaire.»
Aung San Suu Kyi s’est lancée dans cette voie de médiation. Elle a en effet proposé de créer une conférence de panglong, comme en 1947, afin d’unifier le pays. Mais l’idée ne s’est pas encore concrétisée. «Aung San Suu Kyi doit faire preuve de prudence car les groupes ethniques sont très divisés», commente Mireille Boisson.
«La communauté internationale n’a pratiquement pas de prise sur le Myanmar», constate Claude Schauli. Et pour cause. Tant que la Chine, l’inde et la Thaïlande seront les partenaires commerciaux principaux de la junte, les autres pays n’auront que très peu d’influence sur elle. Sans compter que pékin peut bloquer les actions des nations unies au Myanmar avec son droit de véto. n’y a-t-il donc pas d’autre solution que le boycott qui appauvrit la population? «C’est un dilemme européen, se désole Mireille Boisson. Mais les pays de l’Union européenne se rattrapent en augmentant les crédits d’aide humanitaire.»
Une solution chinoise?
Pour Claude Schauli, il existe peut-être une solution pour faire basculer la dictature: «De plus en plus de spécialistes pensent qu’il faudrait s’ouvrir au commerce avec la junte, rapporte le journaliste. La solution pourrait venir des plus gros partenaires commerciaux: l’Inde mais avant tout la Chine.» Pour le journaliste, Pékin doit en effet prendre conscience que la Birmanie est un bouchon économique car le pays n’a pas de réseau autoroutier qui permette à la Chine de le traverser et ainsi d’accéder à la mer. «Récemment, des documents dévoilés par WikiLeaks indiquaient que Pékin méprisait le régime birman. Toutefois, la Chine ne veut pas d’instabilité à ses frontières. Raison pour laquelle elle préfère pour l’instant avoir un voisin tenu par une junte que par une démocratie vacillante menée par Aung San Suu Kyi, qui n’est pas une femme politique. Elle pourrait créer des troubles avec Pékin.» Mais un jour, les intérêts économiques de la Chine et de toute la région pourraient prendre le dessus. «A ce moment-là, le Myanmar pourrait être forcé de changer de régime sous la pression de ses partenaires commerciaux.»
Une opposition cassée
Quelques jours après sa libération, Aung San Suu Kyi a appelé l’opposition à s’unifier. Toutefois, entre celles et ceux qui souhaitaient boycotter les élections, comme le parti du prix nobel (la Ligue nationale pour la démocratie, LnD), les dissident·e·s de la LnD qui se sont présenté·e·s et les extrémistes, l’union sacrée n’a pas eu lieu. Et la scission s’est accentuée en décembre, quand Aung San Suu Kyi a déclaré ne pas souhaiter réformer la tête de la LnD, tenue par des octogénaires. «Cette décision a beaucoup étonné, concède Claude Schauli. Mais Aung San Suu Kyi a un énorme respect pour les anciens qui ont combattu avec elle.» Raison pour laquelle, selon le journaliste, la jeunesse doit se mobiliser. «Aung San Suu Kyi multiplie les rencontres avec les jeunes, assure Mireille Boisson. Cela fait partie de ses priorités de les encourager à se battre pacifiquement.» Mais cette tâche risque d’être de longue haleine. «Le problème, c’est que la nouvelle génération ne l’a jamais rencontrée et ne la connaît pas, constate Claude Schauli. En l’isolant, la junte l’a littéralement coupée de sa base.»
La question des effets du boycott international sur l’opposition mérite d’être soulevée. En sanctionnant le pays, n’affaiblit-on pas non seulement le peuple mais aussi les forces d’opposition? «Il y a quelque chose de gênant dans cette question, concède Claude Schauli. Toutefois, je ne pense pas que cela ait une influence sur l’opposition. Quelle que soit la masse d’argent qui arrive au Myanmar, les militaires auront la totale mainmise dessus.» A contrario, le journaliste irait jusqu’à dire que le boycott est un catalyseur pour l’opposition. «Finalement, c’est l’appauvrissement qui a provoqué la révolte des moines en 2007.»
Pas d'espoir... ou presque
L’avenir du Myamar semble donc très sombre. pour Mireille Boisson, il subsiste malgré tout une lueur d’espoir pour faire évoluer la situation du pays. «On assiste actuellement à l’organisation d’une petite société civile, composée d’associations aidées par des fonds humanitaires, qui échappe au contrôle de la junte. Leur seule solution est de ne pas se déclarer auprès des militaires afin de garder une marge de manœuvre.» Mais avant tout, selon elle, il faut continuer de soutenir les médias en exil, comme Democratic Voice of Burma (DvB), qui sont les seuls canaux indépendants informant sur la situation réelle dans le pays. «Un sondage récent indique que 88% de la population écoute ce type de média, précise Mireille Boisson. Ces médias ont une importance vitale, notamment dans les petites zones reculées.»