A l’origine d’Amnesty International, il y a un simple toast. Au début des années soixante, deux étudiants portugais trinquent à la liberté dans un café de Lisbonne. A cette époque, le Portugal vit sous une dictature qui ne tolère aucune critique. Prononcer le mot «liberté» est interdit. Les deux étudiants sont arrêtés et condamnés à sept ans de prison.
L’avocat Peter Benenson, qui a alors trente-neuf ans, racontera plus tard qu’après avoir appris cette histoire, il n’a cessé d’y penser. Ne supportant plus de lire le récit de telles injustices, il a décidé de faire quelque chose, même sans savoir encore quoi ni comment. Bouleversé, il a marché dans les rues de Londres. Dans l’église de St-Martin-in-the-Fields, il est saisi d’une pensée: «Une action isolée n’a pas beaucoup de poids, mais lorsque de nombreuses personnes s’unissent pour protester, cela peut avoir un effet durable.»
Le 28 mai 1961, il publie dans le journal The Observer un article intitulé «The Forgotten Prisoners» (les prisonniers oubliés), qui commence par ces mots: «Ouvrez votre journal n’importe quel jour de la semaine et vous apprendrez que quelque part quelqu’un dans le monde a été emprisonné, torturé ou exécuté parce que ses opinions ou sa religion déplaisent à son gouvernement.» Benenson appelle ses lecteurs et ses lectrices à écrire aux Etats responsables de ces injustices pour les mettre publiquement sous pression et réclamer la libération des prisonnières et prisonniers d’opinion.
Cet «appel à l’amnistie» est l’acte de naissance d’Amnesty International. Il aura un énorme écho et sera repris par trente grands journaux de différents pays, parmi lesquels le Journal de Genève. A peine l’article publié, les personnes intéressées à soutenir cette lutte sont des milliers à contacter l’auteur. En juillet 1961, la campagne prévue pour durer une année se transforme en une organisation permanente.
Amnesty International est aujourd’hui un mouvement mondial, représenté dans plus de cent cinquante pays. Près de 3,2 millions de membres, de sympatisant·e·s et de personnes activement engagées militent pour que, cinquante ans après l’appel de Benenson, les prisonnières et prisonniers d’opinion ne soient pas oublié·e·s.
Des êtres humains ordinaires peuvent déclencher des événements extraordinaires. Peter Benenson en était convaincu lorsqu’il fonda Amnesty International en 1961. Né le 31 juillet 1921 à Londres, cet avocat et politicien travailliste commença dès son jeune âge à militer pour les droits humains. Il s’engagea pour l’adoption des orphelins rescapés de la guerre civile espagnole, et pour l’aide aux juifs réfugiés en Angleterre suite aux persécutions nazies. Il assista à des procès judiciaires en qualité d’observateur de la Société des avocats travaillistes et de fondateur de l’organisation Justice. Ce militant infatigable n’a jamais savouré ses succès, tant son énergie restait focalisée sur tout ce qui restait à faire. Pour le vingt-cinquième anniversaire d’Amnesty en 1986, il alluma une bougie entourée de fil de fer barbelé, devenue depuis le symbole de l’organisation de défense des droits humains. «Cette bougie ne brûle pas pour nous, disait-il alors, mais pour tous ceux que nous n’avons pas pu faire sortir de prison, tous ceux qui ont été abattus avant d’être incarcérés, tous ceux qui ont été torturés, enlevés ou victimes d’une disparition.» Peter Benenson s’est éteint à Oxford d’une infection pulmonaire le 25 février 2005, tard dans la soirée. Mais la bougie qu’il a allumée brûle encore aujourd’hui.