Groupe de Vevey: stand à la place du Marché en 2011 sur le thème de l’aide d’urgence. © Anita Schmid
Groupe de Vevey: stand à la place du Marché en 2011 sur le thème de l’aide d’urgence. © Anita Schmid

MAGAZINE AMNESTY Actions Des militant·e·s sur le terrain

Article paru dans le magazine AMNESTY, n°65, publié par la Section suisse d’Amnesty International, mai 2011.
Dernier rempart contre un arbitraire croissant, des centaines de milliers d’activistes s’engagent seul·e·s ou en groupe pour le respect des droits humains et contre l’impunité. Reportage sur le terrain avec le groupe d’Amnesty de Vevey et rencontre avec le défenseur mexicain des droits humains Abel Barrera Hernández.
Vevey, place du Marché

Après quelques jours de grand beau, le froid et la pluie sont de retour en ce samedi. Sur la place du Marché de Vevey, la banderole jaune d’Amnesty se repère très vite. Sur le terrain depuis 9h30, les activistes vadrouillent en hommes et femmes sandwichs, pétition et stylo en main. Objectif : sensibiliser la population à la situation des réfugié·e·s vivant à l’aide d’urgence. Après quelques minutes, l’un d’entre eux revient d’un pas décidé au stand: c’est Jean-Pierre Briot, le responsable du groupe. «Notre groupe est plutôt soudé, on se connaît bien et depuis longtemps», affirme cet homme chaleureux et spontané.

Depuis plusieurs années, les actions du groupe portent principalement sur la situation des réfugié·e·s en Suisse. «Le centre de nos préoccupations, c’est l’être humain. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur ce qui se passe ici, notamment avec l’accueil des migrants à Vevey», s’insurge Jean-Pierre Briot. La plupart des personnes derrière le stand font aussi partie de la Coordination Asile Vaud.

D’autres personnes rejoignent la bande de Vevey: une femme membre de la Pastorale sociale et de rue participe à cette matinée d’action. Trois réfugié·e·s du centre de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM) complètent le cercle des invité·e·s. Venus pour répondre aux éventuelles questions que les gens voudraient leur poser, ils attendent patiemment. Mais quasiment personne ne s’adressera à eux durant cette matinée. Même si un requérant trouve les gens plutôt positifs et juste un peu réticents, une activiste d’Amnesty renchérit et relève que les préjugés à leur égard sont malgré tout tenaces. Certaines personnes ont fait de mauvaises expériences avec des requérant·e·s et ont tendance à les assimiler à des profiteurs.

Pour un autre membre du groupe, les Suisse·sse·s sont plus sensibles à ce qui se passe à l’étranger plutôt qu’en Suisse. Cette campagne est particulièrement difficile car elle les touche directement. Ce sujet délicat et brûlant les dérange. Toutefois, même si tout le monde est d’accord pour dire que la cause est particulièrement difficile à défendre, il y a tout de même des personnes qui viennent spontanément au stand, s’arrêtent, se renseignent et signent la pétition.

Le contexte est aussi difficile: on est en pleine période électorale. Le stand d’Amnesty est entouré des différents partis politiques qui s’activent. Comme les passant·e·s sont sans arrêt sollicité·e·s par les partis, ils se sentent agressé·e·s. Quand les militant·e·s d’Amnesty les abordent, leur premier réflexe est le refus. «Mais habituellement, cela se passe très bien, tout le monde est plus détendu et plus ouvert au dialogue. L’avantage d’une permanence régulière, c’est de rencontrer les habitué·e·s: la population nous connaît, vient discuter avec nous, elle sait que nous n’allons pas l’agresser et vient en confiance», conclut Jean-Pierre Briot.

Tlapa, dans l’Etat du Guerrero au Mexique

Installé dans un immeuble de quatre étages, le Centre Tlachinollan est né en 1994 de la volonté de créer un espace citoyen capable de soutenir les peuples indigènes du Guerrero dans leur combat pour les droits humains et la justice. A sa tête, Abel Barrera Hernández s’active inlassablement. Ses journées de travail ressemblent à s’y méprendre à un marathon dont la ligne d’arrivée ne cesserait de se déplacer.

De neuf heures trente jusqu’à seize heures, ce ne sont pas moins de six employé·e·s qui reçoivent des personnes ayant parfois parcouru la distance qui les sépare de Tlapa à pied, parties aux aurores de leur communauté pour trouver conseil auprès du Centre. Un accueil très valorisé puisqu’il se fait dans leur propre langue.

Conflits agraires, migrations, proches disparu·e·s ou emprisonné·e·s, soucis de santé, incursions de l’armée au domicile, gardes à vue par la police, leurs problèmes sont multiples et nécessitent un accompagnement permanent. Un véritable parcours militant, qui consiste à contacter les autorités, accompagner les gens au ministère public, les représenter devant les juges, trouver des moyens de conciliation avec d’autres membres de leur communauté, organiser les déplacements des avocat·e·s dans les régions pour récolter des informations et des témoignages sur différents cas. On court après le temps au Centre Tlachinollan.

Un travail qui n’est pas sans danger: le 13 février 2009, deux leaders indigènes sont enlevés, torturés et assassinés. Le même mois, ce sont des employés du Centre et des membres d’une organisation indigène qui sont la cible de coups de feu. Dans les deux cas, les plaintes n’ont jamais été reçues par les autorités, les responsables restent introuvables.

Les risques sont trop grands. Le Centre Tlachinollan ferme son deuxième bureau d’Ayutla. Ce qui impliquera des «efforts surhumains» pour atteindre certaines communautés, à plus de huit heures de trajet de Tlapa.

Autant de preuves des violences perpétrées contre les défenseurs des droits humains et de l’impunité qui règne. Des violences qui profitent à des intérêts privés et économiques, hydroélectriques ou miniers par exemple, menacés par les luttes indigènes.

Parfois, les issues sont plus heureuses. Comme dans le cas d’une médiation coordonnée par le Centre entre des agriculteurs et les représentants d’une entreprise minière canadienne, qui a abouti à l’augmentation du prix du loyer de la terre.

Mais la dure réalité revient à la charge. Inés Fernández Ortega et Valentina Rosendo Cantú ont été violées par des soldats mexicains en 2002. Huit ans d’accompagnement par le Centre, «un calvaire», n’auront pas mené les autorités civiles à ouvrir une enquête et à traduire les responsables devant un tribunal.

Si l’on en croit Abel Barrera, il en faudrait plus pour le décourager. L’espoir et l’optimisme restent de mise, que viendra certainement conforter le prix Amnesty International des droits humains remis au Centre par la Section allemande d’Amnesty International en mars 2011.

De gauche à droite: Inés et Valentina lors du 16e anniversaire de Tlachinollan, Barrera et des membres du centre lors d’une manifestation de solidarité avec le prisonnier d’opinion Raul Hernandez et une autre manifestation de soutien à Raul Hernandez.