Pierre Sané remettant au secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, treize millions de promesses de soutien à Déclaration universelle des droits de
l’homme (1998). © AI
Pierre Sané remettant au secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, treize millions de promesses de soutien à Déclaration universelle des droits de l’homme (1998). © AI

MAGAZINE AMNESTY Portrait La bougie continue de briller

Article paru dans le magazine AMNESTY, n°65, publié par la Section suisse d’Amnesty International, mai 2011.
Partie d’un simple bureau composé de bénévoles à Londres, Amnesty International est actuellement présente dans plus de soixante pays. Retour sur cinquante ans d’engagement contre les violations des droits humains.
De 1961 à 1971

La première bougie d’Amnesty International, qui allait devenir l’emblème du mouvement, a été allumée à Londres le 10 décembre 1961. Elle symbolisait l’espoir de Peter Benenson de voir, grâce à l’action d’Amnesty International, la lumière pénétrer dans les lieux les plus sombres, là où les droits humains étaient bafoués loin des regards et dans la plus totale impunité.

Le mouvement ne perd pas de temps. Un an après sa création, une première mission de recherche est effectuée au Ghana, en Tchécoslovaquie, au Portugal et en Allemagne de l’Est. La même année, Amnesty International publie son premier rapport annuel qui évoque les deux cent dix prisonnières et prisonniers déjà adopté·e·s par septante groupes dans sept pays. Et elle assiste au procès de Nelson Mandela.

La reconnaissance internationale ne tarde pas. Dès 1964, Amnesty International obtient un statut consultatif auprès des Nations unies. Même chose l’année suivante auprès du Conseil de l’Europe, puis auprès de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO).

En 1965, le mouvement a déjà «adopté» plus de mille trois cents détenu·e·s. Deux ans plus tard, ils sont près de deux mille, dans soixante-trois pays.

Au milieu des années soixante, l’organisation publie ses premiers rapports – sur les conditions de détention au Portugal, en Afrique du Sud et en Roumanie – et soutient auprès de l’ONU une résolution visant à instaurer un moratoire sur la peine capitale, dans l’attente de l’abolition de ce châtiment, pour les crimes politiques commis en temps de paix. Au tournant de la décennie, la barre des deux mille prisonnières et prisonniers d’opinion libéré·e·s est franchie.

De 1972 à 1981

En 1968, Martin Ennals est nommé premier Secrétaire général d’Amnesty International, succédant à Erick Baker et à Peter Benenson. Pendant ses douze années à la tête du mouvement, Amnesty International va connaître un vrai boom. Durantcette période, le nombre de groupes passe de huit cent cinquante à plus de deux mille deux cents. Des missions sont effectuées dans vingt-trois pays. C’est également l’époque des premières campagnes mondiales, pour l’abolition de la torture et de la peine de mort.

En 1973, Amnesty International lance sa première véritable Action urgente, en faveur de Luiz Basilio Rossi, professeur brésilien arrêté pour des raisons politiques. Fin 1981, ce sont au total trois cent dix-sept Actions urgentes qui ont été menées, en faveur de milliers de prisonnières et prisonniers, détenu·e·s dans plus d’une soixantaine de pays.

La même année, l’ONU adopte à l’unanimité une résolution inspirée par Amnesty International qui dénonce formellement la torture. Un an après le coup d’Etat militaire au Chili, l’organisation publie un rapport dénonçant l’oppression politique, les exécutions et les actes de torture sous le régime d’Augusto Pinochet. Un autre pays sudaméricain est épinglé un peu plus tard : l’Argentine. Amnesty International y dresse

la liste de 2665 personnes dont la disparition a été signalée à la suite du coup d’Etat militaire de Jorge Rafael Videla.

L’action d’Amnesty International est de plus en plus largement reconnue au niveau international. En 1977, l’organisation obtient le prix Nobel de la paix pour «avoir contribué à garantir les bases de la liberté et de la justice et avoir ainsi contribué à la paix dans le monde».

En 1976, les Etats-Unis réintroduisent la peine capitale. En réaction, Amnesty International organise une conférence qui se conclut par l’adoption de la Déclaration de Stockholm sur la peine de mort, qui demande à tous les Etats d’«abolir immédiatement et totalement la peine de mort». En 1980, la première campagne mondiale contre la peine de mort est lancée.

De 1982 à 1991

Le Suédois Thomas Hammarberg succède à Martin Ennals et prend les fonctions de Secrétaire général de l’organisation. Ces dix années sont marquées par des bouleversements majeurs sur la scène internationale – chute de l’URSS, indépendance des pays d’Europe centrale et de l’Est –, qui se traduisent par la naissance de plus d’une quarantaine de groupes d’Amnesty International dans cette région du monde.

Le 20 décembre 1982, le mouvement lance un appel en faveur d’une amnistie universelle de tous les prisonniers d’opinion. Plus d’un million de personnes signent la pétition, qui est remise aux Nations unies.

Lors de son Conseil international à Helsinki, en 1985, Amnesty International décide d’élargir son mandat pour y inclure l’action en faveur des réfugié·e·s. Le mouvement commence également à s’intéresser au rôle qu’il peut jouer en matière d’éducation aux droits humains.

Lors de son 30e anniversaire, en 1991, le mouvement décide d’étendre une nouvelle fois le champ de son action. Il se dote ainsi d’un nouveau mandat, aux termes duquel il s’engage à promouvoir tous les

droits garantis par la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Forte des liens établis avec un certain nombre d’artistes connus, l’organisation met sur pied deux grandes tournées de concerts: le Conspiracy of Hope rock concert tour en 1986 et la tournée Human Rights Now ! en 1988. Cette dernière, à laquelle participent notamment Sting et Bruce Springsteen, passe par dix-neuf villes et quinze pays. Ces manifestations ont un énorme impact sur la perception que l’opinion publique a du mouvement et des droits humains en général, et débouchent sur une vague de nouvelles adhésions dans de nombreux pays. A la fin des années 80, le nombre de sympathisant·e·s, membres et militant·e·s atteint les sept cent mille, avec plus de six mille groupes de bénévoles dans septante pays. Dix-sept nouvelles sections nationales voient le jour.

De 1992 à 2001

Au cours des dix années suivantes, Amnesty International lance de grandes campagnes internationales: contre les homicides politiques, les disparitions et les exécutions extrajudiciaires; pour les droits des femmes; contre le commerce de la terreur ou encore pour la création d’une cour pénale internationale permanente. Cette période voit se succéder deux Secrétaires généraux: Pierre Sané, qui prend les rênes de l’organisation en 1992, et Irene Khan, qui prend le relais en 2001.

La fin des années 1990 marque une nouvelle étape importante dans l’action d’Amnesty International. En 1997 notamment, le Secrétaire général a, pour la première fois, l’occasion d’attirer directement l’attention du Conseil de sécurité des Nations unies sur des problèmes relatifs aux droits humains. En 1998, l’Assemblée générale de l’ONU adopte le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, pour laquelle le mouvement milite depuis longtemps.

Toujours en 1998, Amnesty International fête le 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme en lançant sa campagne Signer, c’est agir. Elle récolte à cette occasion treize millions de promesses de soutien, qu’elle présente au secrétaire général de l’ONU de l’époque, Kofi Annan, témoignant ainsi de l’attachement de la population de la planète aux grands principes exprimés dans la Déclaration.

En 2001, alors que le mouvement fête son 40e anniversaire, Amnesty International, modifiant ses statuts, inscrit la défense des droits économiques, sociaux et culturels parmi ses missions. L’organisation est désormais engagée dans la lutte pour la promotion de tous les droits humains, universels et indivisibles, garantis dans la Déclaration universelle.

Au lendemain des événements du 11 septembre 2001, Amnesty International condamne sans réserve les attentats contre des civil·e·s et le terrible bilan humain enregistré à New York. Lors des enquêtes menées par la suite, au nom de la «guerre contre le terrorisme», et qui se traduisent par des centaines d’arrestations, l’organisation fait campagne avec vigueur pour que les normes relatives aux droits humains soient respectées.

De 2002 à 2011

Après avoir sollicité pendant des années l’autorisation des gouvernements du Myanmar, du Soudan et d’Irak de se rendre sur place, l’organisation peut enfin effectuer des missions dans ces pays.

En 2006, le millionième signataire de la pétition visuelle du million de visages, lancée par la campagne Control arms pour demander un traité sur le commerce des armes, remet cette pétition au secrétaire général de l’ONU Kofi Annan. Avant la fin de l’année, 250 000 autres personnes signent la pétition. Amnesty International et ses partenaires de la campagne Control arms remportent une grande victoire lorsque les Nationsla unies décident, à une majorité écrasante, de commencer à travailler sur un tel traité.

La grande campagne mondiale Exigeons la dignité démarre en 2009. Avec cette nouvelle initiative, Amnesty International élargit encore son champ d’action, en y incluant la lutte contre l’injustice et l’exclusion, qui condamnent les pauvres à la misère, sans espoir d’en sortir. La campagne Exigeons la dignité a pour objectif de permettre aux personnes vivant dans la pauvreté d’exercer un contrôle sur les décisions affectant leur vie. En mettant l’accent sur des questions telles que la mortalité maternelle, les bidonvilles, la responsabilité des entreprises et la nécessité d’inscrire certains droits dans la législation, Amnesty International s’oriente vers des questions chères au cœur de Salil Shetty, son nouveau Secrétaire général depuis 2010.

La décennie est marquée par plusieurs campagnes menées pour le contrôle des armes de petit calibre. En soulignant le sort réservé à des jeunes femmes menacées, harcelées, voire assassinées au Mexique, Amnesty International attire l’attention de l’opinion mondiale sur le fléau que représente la violence faite aux femmes. L’organisation continue de se mobiliser en faveur des personnes torturées dans le cadre de la «guerre contre le terrorisme». Elle dénonce la culture de l’impunité en matière d’atteintes aux droits humains qui règne en Russie et exige que soient respectés les droits fondamentaux des personnes séropositives ou malades du sida. L’organisation se mobilise fortement pour alerter l’opinion publique sur la situation catastrophique des droits humains dans la région du Darfour, au Soudan.

A l’heure où Amnesty International s’apprête à fêter son 50e anniversaire, le mouvement compte plus de trois millions de sympathisant·e·s, de membres et de militant·e·s. En cinquante ans, le monde a radicalement changé. Mais la nécessité pour les individus de faire front ensemble, sous toutes les latitudes, pour défendre les droits humains est toujours aussi impérieuse. La bougie d’Amnesty International n’est pas près de s’éteindre.