Yalem Zewd Bekele (Ethiopie), avocate et militante des droits des femmes. © AI
Yalem Zewd Bekele (Ethiopie), avocate et militante des droits des femmes. © AI

MAGAZINE AMNESTY Lettres Des lettres contre la barbarie

Article paru dans le magazine AMNESTY, n°65, publié par la Section suisse d’Amnesty International, mai 2011.
Les Actions urgentes sont le moyen le plus rapide pour sauver la vie de personnes en danger. En 2012, 348 nouvelles Actions urgentes ont été lancées. Retour sur les débuts d’un réseau de solidarité à haute fréquence.

Le soir du 15 février 1973, la police militaire brésilienne prend d’assaut la maison du professeur d’université Luiz Rossi à São Paulo. Ils confisquent ses livres et ses documents, puis l’arrêtent. Son «crime»: être membre du parti communiste, dans un Brésil alors régi par une junte militaire.

En prison, on le bat régulièrement et on le torture par électrochocs. Son épouse, Maria José Rossi, et ses trois filles sont assignées à résidence. Désespérée, sa femme lance un bout de papier par la fenêtre, trouvé par hasard par la fille des voisins, âgée de sept ans. Par l’intermédiaire d’un avocat et d’un évêque, ce bout de papier atterrit chez Amnesty International à Londres. Le 19 mars 1973, l’organisation exhorte des militant·e·s du monde entier à écrire des lettres au président brésilien Emílio Garrastazu Médici exigeant la libération immédiate de Luiz Rossi.

Cet appel fut la première Action urgente d’Amnesty – une action rapide pour des personnes en danger. Depuis, un grand nombre de bénévoles écrivent par fax, e-mail ou courrier postal aux autorités responsables de violations de droits humains. Les destinataires reçoivent des milliers de lettres du monde entier. L’engagement rapide au niveau international est un des instruments les plus efficaces pour arrêter ou éviter des violations de droits humains. Jusqu’à ce jour, ces protestations massives et rapides ont sauvé la vie de milliers de personnes. Dont celle de Luiz Rossi.

Deux semaines après le lancement de l’action, l’épouse de Luiz Rossi est convoquée au quartier général de la police secrète du Departamento de Orden Político y Social (DOPS, Département d’ordre politique et social) pour identifier le cadavre de son mari. Mais à son arrivée, son mari vit encore. Les fonctionnaires lui montrent les piles de lettres envoyées par les participant·e·s à l’action d’Amnesty. «Votre mari doit être plus important que ce que nous pensions, s’étonne le directeur du DOPS. Autrement nous n’aurions jamais reçu toutes ces lettres du monde entier.» A partir de ce moment-là, Luiz Rossi n’est plus torturé. Il est libéré le 24 octobre 1973. En 1974, Amnesty lançait onze autres Actions urgentes en faveur de victimes de torture au Mexique, au Chili, en Uruguay et en Espagne.

Les Actions urgentes rendent les responsables attentifs au fait qu’ils sont observés par la communauté internationale – et c’est exactement ce qu’ils craignent. Toutefois, il ne s’agit pas uniquement de demander des comptes aux responsables, mais aussi de se montrer solidaires avec les prisonnières et prisonniers. Les lettres ont donné de nouvelles forces à Luiz Rossi: «Mes bourreaux voulaient me couper de tout lien avec le monde extérieur. Mais l’Action urgente d’Amnesty a rompu cet isolement.»

Figures régionales

Depuis trente-trois ans, Marie-Madeleine Bosshard (73 ans) et Elizabeth Mayor (76 ans) font preuve d’une détermination que rien ne semble émousser. Tous les mardis matin, ces «dames de Morges» viennent en aide aux personnes dont les droits humains sont gravement bafoués: enlèvements, emprisonnements, menaces d’exécutions… Leur arme? Les Actions urgentes (AU). Marie-Madeleine et Elizabeth ne rédigent pas elles-mêmes les missives, mais elles se chargent d’activer un réseau de professionnel·e·s, comptant près de mille membres, à qui elles envoient les AU communiquées par le secrétariat d’Amnesty à Berne. Les personnes inscrites sont journalistes, médecins, professeurs, etc. Un véritable travail de fourmi puisque, selon les informations reçues, ce sont des membres différents du réseau qu’il faut avertir. Sans oublier que les adresses doivent être tenues à jour régulièrement. Ainsi, chaque semaine, le duo, aidé d’autres militant·e·s, photocopie, plie des lettres et envoie des mails. Qu’est-ce qui a amené ces dames à s’engager dans cette lutte pour les droits humains? Tout a commencé par une rencontre, en 1978. Marie-Madeleine et Elizabeth font la connaissance d’Emmy Attinger. En 1945, cette Suissesse d’origine allemande a été envoyée dans un goulag en Sibérie. Pendant dix ans, elle a connu l’horreur et était coupée du monde extérieur. Une histoire qui a profondément marqué les «dames de Morges» et qui a éveillé en elles le désir de ne pas laisser dans l’oubli celles et ceux qui sont victimes d’injustices.