MAGAZINE AMNESTY Prisonnier d'opinion Décryptage d’une adoption

Article paru dans le magazine AMNESTY, n°65, publié par la Section suisse d’Amnesty International, mai 2011.
En 2010, Amnesty International s’est engagée pour la libération de prisonnières et prisonniers d’opinion détenu·e·s dans près de cinquante pays. Mais quelles personnes peuvent être défendues en tant que telles par le mouvement?

La libération de prisonnières et prisonniers d’opinion est le premier combat mené par Amnesty. Cinquante ans après, ce combat  reste au cœur du  mouvement. © Yousuke Kono

En 1961, Peter Benenson définit l’expression de «prisoner of conscience»
comme toute personne physiquement empêchée, de quelque manière que ce
soit, d’exprimer son opinion. C’est sur cette définition que s’est basé son «appel pour l’amnistie», qui a marqué le début d’Amnesty International. Il exhortait les gens de par le monde à écrire des lettres de protestation aux autorités responsables de l’incarcération de prisonnières et prisonniers d’opinion.

Depuis, le label s’est élargi. Un prisonnier d’opinion est une personne emprisonnée pour son origine ethnique, son sexe ou son orientation sexuelle, sa couleur de peau, sa langue ou encore sa nationalité, autant que pour ses convictions politiques ou religieuses. Un homme peut être emprisonné pour homosexualité en Arabie Saoudite, ou un chanteur folk kurde pour sa musique traditionnelle en Syrie… Amnesty International les adopte tout autant qu’une femme incarcérée pour son blog en Syrie, une militante pour sa défense des droits des personnes infectées par le VIH/SIDA en Chine, un cinéaste pour ses films en Iran ou encore des militant·e·s pour leur opposition au pouvoir au Bahreïn.

L’élargissement de la définition de prisonnier d’opinion ne fait que refléter une meilleure conscience et connaissance de la répression exercée dans de nombreux pays, tels que le Myanmar, l’Iran, Cuba ou encore la Chine, pour ne citer qu’eux, sur toute personne en confrontation avec le pouvoir par ce qu’elle est ou ce qu’elle exprime. On se souvient de Max Göldi lors de son emprisonnement en Libye, qualifié alors de prisonnier d’opinion par Amnesty International. Pourtant, a priori, Max Göldi n’avait rien exprimé de contraire au régime libyen. Mais dans un contexte de tensions entre la Suisse et la Libye, Max Göldi a été de toute évidence arrêté uniquement à cause de son passeport à croix blanche. Emprisonné uniquement pour des raisons politiques sans avoir commis d’actes de violence, il était donc un prisonnier d’opinion.

Non-violence

Tous les prisonniers et prisonnières d’opinion partagent un point commun : leur non-violence. Amnesty ne défend pas les revendications de tous les prisonniers et prisonnières d’opinion, mais leur liberté de les exprimer de manière pacifique. Deux personnes pourraient être enfermées pour les mêmes revendications ; si l’une n’est pas violente et l’autre si, elles n’auront pas le même statut aux yeux d’Amnesty International : la première sera considérée comme prisonnière d’opinion, la seconde comme prisonnière politique. Cette différenciation, toute «amnestienne», n’est par ailleurs pas faite au niveau du droit international.

Nelson Mandela, par exemple, a été considéré comme un prisonnier politique par Amnesty International, parce qu’il avait abandonné l’action non-violente pour la lutte armée. Pourtant, son travail pour la protection et la promotion des droits humains a été reconnu en tant que tel par Amnesty, qui lui a décerné le prix Ambassadeur de la conscience en 2006.

Cette distinction entre les prisonniers d’opinion et politiques a des conséquences sur le traitement qu’Amnesty International leur réserve. Amnesty condamne la violence, qu’elle soit étatique ou individuelle. De ce fait, pour les prisonniers d’opinion, elle demande la libération immédiate et sans condition, tandis que pour les prisonniers politiques, qui se sont opposés avec violence aux autorités de leurs pays – quelle que soit la violence utilisée par l’Etat même – Amnesty exige un procès et un traitement

équitable. En cela, bien qu’elle ne soit pas une organisation pacifiste, Amnesty International promeut la non-violence et les revendications exprimées sous forme de manifestations pacifiques, de textes, films, pièces de théâtre, humour, sit-in, pétitions, blogs, actions symboliques, etc.

Dans le doute…

L’adoption de prisonniers ou prisonnières d’opinion est parfois sans équivoque. C’est le cas, par exemple, de Mao Hengfeng, enfermée dans un camp de «rééducation par le travail» pour avoir soutenu Liu Xiaobo, prix Nobel de la paix 2010, lui-même en prison pour avoir proposé des réformes politiques en Chine. Dans ces deux cas, la Chine a clairement réprimé de manière féroce des opinions dissonantes par rapport à celles du pouvoir.

Mais qu’en est-il des personnes dont on n’est pas sûr si elles ont utilisé ou promu la violence ? Par exemple, les nombreux détenus dans la prison de Guantánamo, enfermés depuis de nombreuses années sans pour autant être jugés ? Certains sont des prisonniers politiques, d’autres d’opinion. Dans ce cas, Amnesty International demande pour tous un procès équitable et s’il s’avère que des personnes ont été emprisonnées arbitrairement, l’organisation exige de les libérer immédiatement. C’est le Secrétariat international d’Amnesty qui décide quelles personnes peuvent recevoir le statut de prisonnier d’opinion, en recoupant diverses informations et sources. Dans le cas des prisonniers de Guantánamo, l’analyse de leur situation s’avère impossible. Et, paradoxalement, il n’y a pas de présomption d’innocence. Dans le doute, Amnesty International préfère traiter toutes ces personnes comme de potentiels utilisateurs de la violence plutôt que comme des prisonniers d’opinion. Ce nouveau type de situation ne demande-t-il pas une remise en question de la définition du prisonnier d’opinion ?