Le 14 janvier 2011 marquait un tournant pour la Tunisie. Ce jour-là, le courage des Tunisien•ne•s qui étaient descendu•e•s dans la rue et avaient bravé les tirs et les violences de la police était récompensé : après vingt-trois ans au pouvoir, le président Zine el Abidine ben Ali était renversé. Inspiré•e•s par la révolte tunisienne, les egyptien•ne•s affrontaient à leur tour avec audace et dans des manifestations d’une ampleur sans précédent l’appareil répressif du
président Moubarak, obtenant sa démission le 11 février, après trente ans de règne. La chute des dictateurs semblait mettre fin à des décennies de régimes autoritaires caractérisées par la corruption endémique, les brutalités policières ainsi que l’absence de droits civils et politiques. Pourtant, les gouvernements de transition égyptien et tunisien ne semblent posséder ni la légitimité, ni la capacité d’amorcer les réformes nécessaires à une véritable démocratisation.
Des changements limités
En attendant l’adoption d’une nouvelle constitution, l’Egypte a opté pour une réforme constitutionnelle restreinte qui lève les contraintes limitant la possibilité de se présenter à la présidence de la république et consacre la magistrature dans sa fonction de supervision des élections. Le contentieux électoral appartient désormais à la haute Cour constitutionnelle. Il était jusqu’à présent dans les mains du Parlement où le parti présidentiel détenait une écrasante majorité de sièges, de sorte que le traitement des plaintes pour fraude ne pouvait être équitable. La création des partis politiques a également été largement libéralisée. Mais, d’après Jean-Noël Ferrié, politologue et spécialiste du monde arabe, «techniquement, il y a eu très peu d’autres mesures appuyant le processus de démocratisation. En outre, le gouvernement actuel de l’Egypte est issu d’un coup d’Etat militaire. Ce coup d’Etat a été bien accueilli, mais il n’en demeure pas moins que les militaires n’ont aucune légitimité électorale et gouvernent en l’absence d’un Parlement.» Par ailleurs, une démocratie implique un comportement décent de l’appareil sécuritaire vis-à-vis des citoyen•ne•s. Ce dossier est particulièrement lourd en Egypte où la torture est une pratique normale à laquelle sont exposées les personnes se retrouvant dans les locaux de police, même si elles ne sont accusées que d’infractions légères. «Il faudrait que ces traitements soient proscrits par la Constitution. La création d’une instance indépendante veillant au respect de la déontologie policière et dotée de véritables pouvoirs d’investigation et d’intervention serait un complément nécessaire à cette constitutionnalisation», indique le politologue. D’après hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen, en Tunisie également, «l’armée reste la seule garante de la transition démocratique. C’est elle qui a approché le gouvernement actuel pour qu’il gère les affaires courantes et pilote cette transition. Ce gouvernement n’a donc aucune légitimité populaire ou institutionnelle, pas plus qu’il n’a les moyens, notamment en raison de sa nature provisoire, d’opérer les réformes nécessaires à la démocratisation du pays.» L’application de la Constitution tunisienne, adoptée en 1959, est suspendue et, le 8 juin 2011, le premier ministre Béji Caïd Essebsi a officiellement annoncé la tenue des élections d’une assemblée constituante pour le dimanche 23 octobre 2011. Mais les institutions au service de la dictature n’ont pas été démantelées, à commencer par le système de sécurité et l’appareil judiciaire du président ben Ali. Hasni Abidi justifie en partie cette lenteur «par la volonté des autorités actuelles de préserver la sécurité qui fait l’attrait du pays et de ne pas brusquer les étapes pendant cette phase inédite de l’histoire tunisienne».
Les autorités bénalistes ont recouru à des lois draconiennes pour réprimer l’opposition politique et harceler la société civile, notamment au cours des dernières élections présidentielle et législatives en Tunisie, en octobre 2009. Les partis politiques opposés au gouvernement sont restés interdits ou dans l’incapacité de mener leurs activités librement. A cette époque, les opposant•e•s au gouvernement – dont des militant•e•s des droits humains – ont été soumis•es par des représentant•e•s de l’etat à des dispositifs de surveillance oppressants, à des menaces, des manœuvres de harcèlement et des violences physiques. Pourtant, les autorités de transition n’ont toujours pas levé toutes les restrictions arbitraires pesant sur les libertés d’expression, d’association et de réunion, dans le droit et dans la pratique. «S’il est vrai que les Tunisien•ne•s bénéficient de plus de liberté depuis quelques mois, beaucoup observent aussi de la prudence par rapport à certaines activités, par peur des dénonciations; la culture de la surveillance et de la dénonciation est toujours présente dans l’appareil policier et mettra du temps à se résorber», considère hasni Abidi. Les éléments législatifs qui sous-tendent cette culture policière, le code de la presse, la loi sur les partis, celle sur les associations ainsi que le code électoral demeurent eux aussi en place.
Une donne nouvelle
Comme l’analyse Jean-noël Ferrié pour le cas égyptien, «les soulèvements des populations ont établi que l’autoritarisme était fragile et que les mouvements sociaux pouvaient, s’ils prenaient une certaine ampleur, avoir des conséquences sur la survie des gouvernants. Cette nouvelle contrainte qui pèse explicitement sur les autorités peut avoir un effet positif sur le processus démocratique. On ne peut toutefois pas dire jusqu’à quel point.» de son côté, Hasni Abidi estime que «même si un retour de balancier se produit en faveur des forces conservatrices et autoritaires, ce qui est une constante dans les révolutions, les verrous de la peur ont sauté et des milliers de jeunes ont montré à l’Occident qu’il se trompait en soutenant des régimes autoritaires corrompus».