Alors que les révolutions du Printemps arabe laissent un goût d’inachevé, les femmes tunisiennes et égyptiennes cherchent à faire leur place. Pendant les manifestations qui ont fait tomber leur gouvernement, elles ont eu des ailes: elles ont bravé les interdictions de sortir décrétées par leurs familles, ont milité sur internet et dans la rue. Plus rien ne les arrêtait. Pendant quelques semaines, les femmes sont devenues les égales des hommes. Mais qu’ont-elles gagné des révolutions? «Le gouvernement de transition n’a pas exprimé le moindre engagement pour les droits des femmes», répond Bochra Bel Haj Hmida. Cette avocate dynamique, aux cheveux noirs et bouclés, est l’ancienne présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates. Son homologue égyptienne, Nehad Abolkomsan, ne fait pas un constat plus rose en Egypte : «Les femmes leaders de la révolution ont été exclues du processus de transition et sont retournées dans l’anonymat», constate la présidente du Centre égyptien pour les droits de la femme, une personnalité calme, les cheveux couverts par un mince foulard. En Egypte comme en Tunisie, les structures patriarcales, déstabilisées au moment de la chute du pouvoir en place, ont repris le dessus. Elles font obstacle aux femmes qui peinent dès lors à faire leur place en politique. En Egypte, la révision de la constitution en mars dernier révèle une transition pensée par des hommes et pour des hommes. Les mouvements féministes se sont élevés contre l’article 75, qui stipule que le président ne doit pas être marié à une femme étrangère. «Cet article exclut de facto les femmes de la présidence, puisqu’il précise que le président est un homme», réagit Nehad Abolkomsan. La militante regrette également que la coalition des jeunes de la révolution soit menée par vingt-quatre hommes et une seule femme.
Les droits des femmes sont absents des agendas politiques. Les féministes ne peuvent même pas compter sur les partis progressistes: «en Tunisie, les droits des femmes n’ont jamais été prioritaires pour eux. les partis croient que cela leur ferait perdre leur électorat», commente Bochra Bel Haj hmida. En Egypte, priorité est donnée à la lutte contre la corruption et le chômage.
Risque de perte des acquis
Certaines féministes craignent de perdre des acquis que l’ancien régime leur garantissait. En Tunisie, les femmes jouissaient d’une situation qualifiée d’«exception» dans le monde arabe: interdiction de la polygamie, égalité formelle entre hommes et femmes en cas de divorce. Ces acquis, considérés comme un héritage du régime de ben Ali, sont aujourd’hui remis en cause. «Dans la rue comme dans les médias émerge un discours contre cette législation progressiste», s’inquiète Bochra Bel Haj Hmida. En Egypte, les lois dites «de Suzanne Moubarak» (la femme de l’ex-président), garantissant certains droits aux femmes, notamment en cas de divorce, sont égale ment sur la sellette. «Les personnes qui les remettent en cause ne comprennent pas que ces lois sont le fruit de trente ans de lutte des Egyptiennes et non le travail d’une seule femme», a déclaré Fatma Khafagy, du comité de l’Alliance pour les femmes arabes au journal égyptien Ahram-Online. Un avis qui ne fait pas l’unanimité. Pour la jeune bloggeuse et militante des droits humains noha Atef, «les egyptiens doivent être prêts à amender ces lois pour faire avancer les droits des femmes». Avant la révolution, les femmes étaient déjà actives dans les mobilisations sociales. En Tunisie, les mères des victimes de la répression ont protesté contre les disparitions forcées de leurs enfants. En Egypte, le mouvement Kefaya, qui s’opposait au régime Moubarak dès 2005, avait parmi ses leaders une femme, Karima el hefnawy. Et l’une des figures les plus connues de la lutte contre la torture, Aida Seif El Dawla, est encore une femme. «La révolution n’a fait que souligner l’engagement des femmes», remarque noha Atef, qui tient depuis 2006 un blog dénonçant la torture. «En les voyant se battre côte à côte avec les hommes sur la place Tahrir, beaucoup de gens ont ravalé leurs préjugés.» Avec la révolution, une barrière est tombée. «Les femmes ont pris conscience de leur force», témoigne nehad Abolkomsan. Une multitude d’associations ont émergé et les femmes sont devenues très actives sur les réseaux sociaux. «Internet ne fait pas de différence entre les sexes. La toile donne aux femmes une liberté qu’elles n’ont pas dans l’espace public», constate la militante égyptienne. Et celles-ci ne se privent pas de livrer leurs témoignages et de dénoncer les inégalités, à l’instar de la Tunisienne Lina Ben Mhenni, dont le blog a été rendu célèbre pendant la révolution. La jeune femme de vingt-huit ans utilise les réseaux sociaux pour inciter ses concitoyennes à participer aux votations, un droit que les Tunisiennes ont obtenu avant les Suissesses. «Les femmes sont de plus en plus présentes, non seulement dans la société civile, mais aussi dans la vie politique», se réjouit Lina Ben Mhenni.
Femme candidate
Malgré ce pas en avant, le combat n’est pas encore gagné. Les nombreuses associations qui ont fleuri manquent d’organisation et peinent à se donner des objectifs clairs. Aujourd’hui encore, certaines femmes redoutent de s’exprimer par crainte de représailles de la part de groupes conservateurs. «L’ambiance est malsaine, je préfère ne pas répondre à certaines de vos questions, cela risquerait de me poser problème», souffle une militante tunisienne contactée par Amnesty. D’autre part, la révolution n’a pas transformé toutes les Egyptiennes et les Tunisiennes en féministes convaincues. «Le mot féminisme dérange», remarque Bochra Bel Haj hmida. Nombre de femmes sont frileuses quand il s’agit de revendiquer leurs droits. En Egypte, beaucoup d’entre elles considèrent la stabilité économique et politique comme leur priorité. «On doit aider les femmes à prendre conscience de leurs droits!», s’exclame l’avocate qui milite pour que ses concitoyennes aient accès à l’éducation civique. Et rien ne changera si les femmes ne sont pas libres d’élire la personne de leur choix. «Pour cela, elles doivent se rendre aux urnes sans être accompagnées de leurs maris», défend bochra bel haj hmida. La féministe milite aussi pour que des femmes participent à la supervision des élections. En Tunisie comme en Egypte, l’enjeu est le même : «nous n’accepterons pas une démocratie masculine!», résume Nehad Abolkomsan. Bouthaina Kamel, candidate à la présidentielle, est prête à relever le défi. Même si ses chances de gagner sont très minces, elle fait passer un message clair : les femmes refusent d’être écartées de l’Egypte de demain.