MAGAZINE AMNESTY Sans logement décent, pas de droits

Article paru dans le magazine AMNESTY, n°66, publié par la Section suisse d’Amnesty International, septembre 2011.
Actuelle Rapporteuse spéciale des Nations unies sur le droit à un logement convenable, Raquel Rolnik analyse la situation des populations défavorisées qui vivent dans des bidonvilles partout dans le monde.

Rolnik Raquel Rolnik. © UN Photo/Ryan Brown

AMNESTY : Depuis quelques décennies, on constate qu’une croissance sans précédent s’opère dans les grandes villes du monde entier, et particulièrement dans les bidonvilles. Quelle est l’ampleur du phénomène et comment l’expliquez-vous ?
Raquel Rolnik: C’est un phénomène difficile à estimer, notamment en raison de la difficulté de définir ce qu’est un habitant des bidonvilles. Mais grosso modo un milliard de personnes vivent dans des bidonvilles, soit un habitant sur six ou sur sept dans le monde. Cette proportion est encore plus significative si on la ramène à la population urbaine dans le monde (1/3 de la population urbaine vit dans les bidonvilles). Pour la première fois, en conséquence de l’exode rural, la population urbaine a dépassé celle des campagnes. Il s’agit d’une tendance nouvelle en Asie et en Afrique. la plupart des bidonvilles grandissent beaucoup dans ces régions, car le taux d’urbanisation, très rapide, se fait essentiellement à travers la création de zones urbaines informelles.

Les bidonvilles sont des zones urbaines qui n’apparaissent sur aucun plan d’urbanisme. Dès lors, les constructions de ces zones ne sont pas reconnues juridiquement. Quelles en  sont les conséquences pour leurs habitant•e•s ?
Certaines personnes ont payé leur propriété, mais leur habitation n’existe pas dans les registres municipaux, car elle n’a pas été érigée selon les normes de planification urbaine. d’autres ont acheté des terrains vendus de manière illégale, parce que les revendeurs à l’origine de la transaction n’en étaient pas propriétaires. dans certains cas, des communautés rurales se sont retrouvées englobées dans le tissu urbain alors que la cité grandissait, d’autres se sont installées sur des terrains, avec ou sans le consentement des autorités publiques ou des propriétaires privés. bref, il existe une pluralité de systèmes fonciers dans les bidonvilles. Cependant, le seul type de propriété légalement reconnu est la propriété privée enregistrée. le reste est paralégal, illégal ou semi-légal. Or les personnes qui se trouvent dans ces systèmes fonciers non reconnus ne bénéficient d’aucune sécurité ; elles sont vulnérables. Vulnérables parce qu’elles sont toujours sujettes à des expulsions. et vulnérables car le droit à un logement adéquat est une clé d’entrée pour d’autres droits : accès à des sanitaires décents, droit à l’éducation, droit aux systèmes de santé… Si l’accès à un logement adéquat n’est pas garanti, alors l’accès aux autres droits est rendu plus difficile.

Quelles mesures devraient prendre les gouvernements et les municipalités concernées pour tenter de loger dignement les habitant•e•s des bidonvilles, sans les en expulser brutalement ou sans éradiquer les habitations précaires ?
L’ambiguïté autour de l’existence des zones informelles est la pire des choses. de telles zones ont parfois trente ou quarante ans d’existence, et les communautés qui y vivent les ont considérablement revalorisées par leurs propres moyens. Il faut une claire reconnaissance des zones qui peuvent continuer à exister et être urbanisées, et de celles qui, notamment pour des raisons de sécurité, parce qu’elles sont sujettes à des glissements de terrain ou à des inondations, sont au contraire appelées à disparaître. dans le cas de ces dernières, il faut alors définir un plan de réinstallation respectant le droit international.

Les conventions internationales, justement, ne manquent pas de références au fait que les expulsions forcées constituent une violation des droits humains. La plupart des Etats ont signé l’une ou l’autre de ces conventions et sont dans l’obligation de les respecter. Pourquoi ne le font-ils pas?

C’est incroyable de voir à quel point les accords internationaux ne sont pas connus! Même dans les organes judiciaires, les fonctionnaires ignorent complètement le droit international. et cela même si leur gouvernement a ratifié les éléments liés au droit au logement adéquat. C’est pire encore si vous discutez avec le commun des ingénieurs, techniciens et autres employés d’etat impliqués dans les bidonvilles. Ils considèrent souvent simplement que leurs habitants sont «illégaux» et qu’on peut donc les en expulser. Pourtant, il y a bien une marche à suivre indépendamment du statut légal ou semi-légal des terrains concernés, et conforme au droit international.

Plutôt que de revaloriser certaines zones avec un ensemble de mesures, les pouvoirs publics laissent souvent les acteurs économiques réaliser des projets d’ampleur visant à construire hôtels, centres commerciaux et autres infrastructures de loisir ou sportives, mais entraînant des expulsions des populations vivant sur les périmètres  concernés. Comment jugez-vous ce phénomène?
C’est en lien avec ce type de projets que me sont parvenues le plus de dénonciations de violations des droits humains. Pour la réalisation de routes et de projets économiques à large échelle, on expulse des personnes de leur habitat. deux types de violations apparaissent alors fréquemment. On observe d’une part un manque d’informations, de discussions, de transparence et d’intégration des communautés concernées dans le processus de réinstallation, et l’impossibilité pour celles-ci de présenter des solutions alternatives. d’autre part, les compensations proposées pour le déplacement sont largement insuffisantes. l’argent ne permet pas aux personnes concernées de retrouver un bien équivalent à celui dont elles ont été expulsées. et leur réinstallation les coupe souvent des opportunités économiques, des transports ou des écoles.

N’est ce pas exactement ce qui se passe au Brésil actuellement dans le cadre de la préparation de la Coupe du monde de football (2014) et des Jeux olympiques (JO 2016)?

Oui, c’est typiquement le type de plaintes que je reçois en ce qui concerne le brésil ! rio de Janeiro, qui accueillera à la fois la Coupe de monde et les JO, est la plus touchée jusqu’à présent. Mais des expulsions ont d’ores et déjà été constatées dans toutes les autres grandes villes concernées: Sao Paulo, Curitiba, Fortaleza, recife, etc. et le processus de préparation de ces deux événements ne fait que commencer.

Pour les favelas visées par les grands travaux de préparation des infrastructures nécessaires au déroulement de la Coupe du monde et des Jeux Olympiques, ces événements ne représentent-ils pas aussi des possibilités d’améliorations des conditions de logement?

Certainement, mais les autorités doivent concevoir un protocole très clair sur le droit au logement, comme sur d’autres droits humains susceptibles d’être violés. Je pense notamment aux droits des femmes et des enfants, des travailleurs, des syndicats, etc… le brésil doit non seulement s’engager à protéger les droits humains, mais aussi à les promouvoir.