MAGAZINE AMNESTY Iran Militer dans la clandestinité

Article paru dans le magazine AMNESTY, n°67, publié par la Section suisse d’Amnesty International, novembre 2011.
Malgré le vent de la révolution qui souffle sur le Moyen-Orient, le régime iranien reste fermement arrimé au pouvoir. Et il devient de plus en plus dangereux de manifester son opposition, comme le montre l’exemple de Nasrin.

Lorsqu’elle veut rencontrer ses ami·e·s opposant·e·s au régime, Nasrin* doit user de la plus grande prudence. «Il est exclu que nous nous donnions rendez-vous dans un café et que nous y parlions librement de politique», dit la jeune femme. Des espions sont partout à l’affût. Elle se contente donc d’envoyer des courriels anodins. Seule indication: «On se voit chez toi», le domicile privé offrant généralement suffisamment de sécurité. Il fut un temps où Nasrin ne craignait pas d’exprimer publiquement son opposition au gouvernement d’Ahmadinejad: après les élections controversées de juin 2009, elle est descendue dans la rue pour manifester, tout comme des centaines de milliers d’Iranien·ne·s. Mais suite à la répression de la «révolution verte», le climat est devenu trop hostile. Alors que Nasrin militait dans une organisation pour les droits des femmes et travaillait comme journaliste, ses activités politiques sont aujourd’hui clandestines, et elle gagne sa vie comme attachée de presse pour une entreprise. Avant le fatidique mois de juin 2009, cette jeune femme formée aux études littéraires s’est battue contre les lapidations et les lois misogynes qui régissent la famille. Elle a notamment lutté pour que les Iraniennes puissent assister aux matchs de football dans les grands stades. «Une interdiction de stade est un symbole très fort de la discrimination dont elles sont victimes», explique-t-elle.

Pour des raisons de sécurité, Nasrin a dû renoncer à toute forme d’engagement organisé. Elle continue pourtant à faire tout ce qui est en son pouvoir, même si cela se réduit à peu de choses. «Un exemple: en Iran, l’épouse ne peut rien faire sans l’autorisation de son mari», expose la jeune femme de vingt-six ans, elle-même mariée. Le système laisse pourtant aux femmes la possibilité de conserver une marge de liberté: «Le mari peut signer un papier officiel autorisant sa femme une fois pour toutes à sortir de la maison, étudier, voyager à l’étranger, voire même divorcer», rapporte Nasrin. Elle ne manque pas d’informer de cette disposition juridique toutes les jeunes femmes qu’elle rencontre durant ses loisirs. «Beaucoup d’entre elles ne sont même pas au courant! Bien que chez les jeunes, signer cette déclaration commence à être à la mode.» Né·e·s après la révolution de 1979, les Iranien·ne·s de moins de trente ans ont envie de mener une vie «normale», sans avoir à subir des intrusions dans leur sphère privée, sans vivre tout le temps dans la peur.

Une presse censurée

Celles et ceux qui expriment leur opinion s’exposent à la répression du régime. C’était déjà le cas lorsque Nasrin travaillait en tant que journaliste pour la presse dite réformiste, qui appelle à une refonte de l’Etat islamique. «Nous ne pouvions pas critiquer ouvertement le gouvernement. Mais entre les lignes, il était possible de faire passer un point de vue différent.» Les autorités surveillaient pourtant de très près les journaux, qui recevaient régulièrement des fax du Ministère de la Culture et de l’Orientation islamique, leur prescrivant sur quel sujet écrire et comment il fallait écrire. Un journal réformiste était-il jugé trop populaire en haut lieu que sa rédaction était aussitôt fermée. Malgré cette menace, il se trouvait toujours des investisseurs pour lancer un journal. Nasrin devait constamment chercher une nouvelle place de travail. Après un certain temps, elle n’a plus eu l’énergie de continuer et s’est reconvertie malgré elle dans les relations publiques. Une décision difficile pour une femme qui s’est vouée corps et âme au journalisme. Y renoncer semble la rendre dépressive. Un sujet la met particulièrement en colère : l’obligation de porter le voile que la loi impose aux femmes iraniennes. «Pour moi, le hijab est à la base de toutes les discriminations envers les femmes, souligne Nasrin. A l’étranger, on trouve bien sûr plus grave que des lapidations et des exécutions de masse aient lieu en Iran. Mais l’obligation de porter le voile est pour moi une humiliation quotidienne.» Lors de ses voyages en Europe, elle apprécie visiblement de pouvoir porter en public des pantalons et un t-shirt décolleté. Ses yeux bleus brillent dans son joli visage encadré par des boucles rebelles. Aussitôt qu’elle embarque à bord de l’avion pour Téhéran, c’en est fini de cette liberté. Toutes les femmes doivent dissimuler leur corps, leurs cheveux et leur coquetterie sous les vêtements prescrits par l’islam, et ceci dès qu’elles sortent de la maison.

Pourquoi les mouvements contestataires échouent-ils en Iran, alors qu’ils ont pu renverser les régimes autoritaires en Tunisie et en Egypte? «La police et les Gardiens de la révolution ont beaucoup plus d’expérience dans l’écrasement des soulèvements. Ici, il y en a tous les dix ans. Les forces de répression ont pu affûter leur tactique», estime Nasrin. Par ailleurs, lors de la «révolution verte», l’opposition iranienne était divisée: certaines personnes ne demandaient qu’un recomptage des voix, d’autres une réforme modérée de l’Etat islamique, d’autres encore la démission immédiate d’Ahmadinejad. « Nous avons peut-être dispersé nos forces», regrette Nasrin.

Des forces de répression bien entraînées

Depuis que le vent de la révolution souffle dans la région, l’appareil répressif iranien s’est encore renforcé. Lorsque Nasrin se promène dans les rues de Téhéran, elle voit toujours davantage de Gardiens de la révolution et de miliciens bassidjis: «Les forces de sécurité bloquent les rues, procèdent à des arrestations arbitraires et n’hésitent pas à recourir au gaz lacrymogène.» Nasrin a elle-même été arrêtée il y a cinq ans lors d’une manifestation, ce qui lui a valu trois jours de prison. Et les services secrets ont interrogé une autre personne à son sujet, un signe suffisamment clair pour lui commander désormais d’être prudente.

Les réseaux sociaux font néanmoins entrevoir une lueur d’espoir. Selon Nasrin, les militant·e·s trouvent toujours une manière de contourner le blocage officiel de Facebook et de communiquer sur la plate-forme. Les dissensions entre Ahmadinejad et le Conseil des gardiens de la Constitution sont également une raison d’espérer. Peut-être ce désaccord entre les détenteurs du pouvoir offrira-t-il une chance à la société civile. Mais en Iran, rien n’est sûr: «Il vont peut-être nous accorder quelques droits supplémentaires, dit Nasrin. Mais peut-être aussi découvrir soudain que les élections sont anti-islamiques et les interdire. Personne ne peut le prévoir.»
* Prénom fictif