II est six heures du matin à Kamoto, lorsque le conducteur d’engin de la mine souterraine de Katanga Mining Limited qui nous renseigne arrive à son lieu de travail. Il habite à plus de dix-huitkilomètres de ce site minier et vient à son lieu de travail avec le bus de l’entreprise. Son équipe vient remplacer les mineurs qui ont travaillé toute la nuit sous terre, depuis la veille à vingt-deux heures. Visiblement épuisés, ces derniers s’empressent de changer leur tenue, avant de prendre quelques heures de repos.
Plus vigoureuse, l’équipe entrante s’apprête à prendrel’ascenseur pour descendre dans la mine, à 357 mètres sous terre. Pour seul repas, les mineurs reçoivent de l’entreprise trois morceaux de pain chacun. De quoi tenir jusqu’à quinze heures. «Dans le temps, nous prenions ces pains avec un gobelet de thé», lance un mineur, qui ne comprend pas pourquoi ils doivent aujourd’hui se contenter de pain sec. il préfère ses petits pains pour les heures graves, comme disent les travailleurs, quand ils ont très faim et sont fatigués.
Début janvier 2012, les mineurs de Kamoto ont observé un mouvement de grève pour réclamer de meilleures conditions de travail. Leur entreprise a, affirment-ils, réalisé d’importantes performances en l’espace de quatre ans (2008-2011), portant sa production minière (cuivre et cobalt) de trente mille à cent cinquante mille tonnes. Le salaire mensuel des mineurs, lui, n’a pas bougé: il est resté à six cents dollars. «Avant la grève, égal après la grève!», s’exclame, défaitiste, un des mineurs.
Un pillage organisé
Les récits de leurs journées de travail sont épouvantables. «Debout sur ma machine à 375 mètres sous terre, je dois forer les pierres dans le sous- sol et je n’en ressors que l’après-midi», raconte L. M. Malgré la présence d’un service d’aération qui contrôle le retour d’air, ils travaillent dans un environnement où la chaleur, la fumée de minage et des engins, ainsi que la poussière se mêlent aux bruits des machines. A l’intérieur de la mine, il n’y a ni eau, ni toilettes. « il y fait très chaud et parfois je suis tenté de me déshabiller pour bien travailler. il faut être fort pour tenir», ajoute L. M.
Dans ces dures conditions de travail, maintes fois décriées par les défenseurs des droits humains et les employés eux-mêmes, la mort survient régulièrement. «Les familles ne reçoivent que deux cent cinquante dollars pour organiser les funérailles.» Pour ne pas perdre leur salaire, les mineurs sont contraints de travailler comme des forcenés, ruinant leur santé à petit feu.
Les populations des cités de Luilu, Musonoie, Kapata, proches de Kamoto, vivent, elles aussi, le désastre de l’exploitation quasi inhumaine de la mine. «En plus de la pollution de l’air et des sources d’eau et de la stérilisation des terres, la plupart des maisons de Luilu se sont affaissées, d’autres ont des fissures dans les murs. C’est dû aux explosions qui se produisent à Kamoto. Regardez l’état de la route, cabossée et rocailleuse, que les camions de Katanga Mining empruntent chaque jour pour aller de la ville à ses sites. regardez la pauvreté des communautés alentour, il s’agit d’un pillage organisé!», s’indigne un membre de la société civile de Kolwezi.
L’hôpital, construit par l’entreprise au sein de ses installations, n’est accessible qu’à ses agents. Pourtant, «la diarrhée et la fièvre typhoïde sont fréquentes, surtout à Luilu et Kapata, où les populations boivent l’eau des puits». Selon les membres de la société civile de Kolwezi, les communautés proches des mines exploitées par Katanga Mining ne bénéficient pas de ses actions sociales. Elles sont, au contraire, exposées à divers dangers: «Nous déplorons de plus en plus de cas de malformations congénitales dans notre cité», dénonce un abbé. Il voit un lien entre ces malformations et le contact permanent avec les minerais. «Les conséquences de l’exploitation minière telle qu’elle se fait ici n’épargnent personne. Cessons de croire que seuls les mineurs sont concernés, car nous sommes tous expo- sés, et les minerais nous tuent chaque jour petit à petit.»
Des mines qui tuent en silence
Kamoto doit son nom à un village historique qui occupait jadis ce site. Les paysans y apercevaient de loin, en allant dans leurs champs, un petit feu qu’ils montraient du doigt en disant en swahili: «tazama kule ka moto» (regardez là-bas, un petit feu). et, quand débutèrent les premiers travaux d’exploitation minière, le site fut appelé «ka moto» (petit feu). Ironie du sort: aujourd’hui, l’exploitation de la mine, devenue depuis Kamoto, semble «tuer à petit feu» aussi bien les mineurs qui y travaillent dans de très mauvaises conditions que les populations riveraines.
Le scandale écologique et sanitaire lié à l’exploitation minière dans la province de Katanga est bien connu. et la population paie un lourd tribut, sans pour autant bénéficier des richesses minières. Les cris de détresse des populations directement ou indirectement affectées par l’exploitation minière, les alertes lancées par les organisations des droits humains, rien n’a jusque-là poussé les dirigeants de la république démocratique du congo à agir. Dans un rapport d’enquête de fin décembre 2011 intitulé «Les sans voix», l’Action contre l’impunité pour les droits humains (ACIDH) dénonce les effets néfastes des activités des entreprises minières du Katanga sur la santé et l’environnement. certaines de ces entreprises «dégagent une fumée vers les heures du soir qui sèche toutes les plantes et nuit à la respiration des habitants». D’autres déversent des acides dans les rivières, «ce qui serait aujourd’hui à la base de l’extinction des poissons et d’autres espèces aquatiques et végétales», dénonce cette ONG.
Directeur de l’école de toxicologie de Lubumbashi, capitale de la province du Katanga, célestin Banza estime que le gouvernement congolais doit, pour mettre fin à ce drame, renfor- cer la législation sur les mines. «La RDC est un pays à vocation industrielle, qui cherche à se développer. Mais nous ne devons pas, pour cela, sacrifier des générations entières», dit-il.
Fin octobre 2011, le ministre de la Santé du Katanga, Ilunga Ndjoloko, s’est penché sur le développement des phé- nomènes inquiétants observés dans le secteur de l’exploita- tion minière dans cette province. Lui aussi a fait le constat de l’augmentation des cas de malformations congénitales dans la province, et a reconnu qu’elles ont «des liens directs avec l’exploitation minière». Dans la seule ville de Lubumbashi, son Ministère a identifié une soixantaine de malformations liées à cette exploitation. Mais aucune mesure urgente n’a pour l’heure été prise par les autorités pour arrêter ce drame qui se déroule sous les yeux de tous.