En Valais, comme ailleurs en Suisse, des requérant·e·s d’asile débouté·e·s ainsi que des personnes étrangères sans autorisation de séjour valable sont souvent emprisonné·e·s avant d’être expulsé·e·s. Appliquée de façon arbitraire, la législation sur l’asile et les étrangers a des conséquences humaines graves qui semblent ignorées des autorités. Mais dans un canton où l’Eglise et la société civile jouent un rôle important, il y a parfois de l’espoir pour les plus fragiles.
Comme un criminel
Aloysius Chukwunta est un activiste originaire du Biafra au Nigeria. Il vit en Suisse depuis huit ans. Il est bien connu des Nations unies pour son engagement en faveur des droits des minorités au Biafra et a été invité plusieurs fois à Genève. A son arrivée en Suisse, Aloysius Chukwunta a rapidement appris le français, ce qui lui a permis de s’intégrer socialement et professionnellement en Valais. Cela n’a pas empêché le Service de la population et des migrations (SPM) d’ordonner son arrestation et son placement en détention, en attente de son expulsion. Pourtant, les autorités cantonales savaient qu’Aloysius Chukwunta avait déposé un recours auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF).
Aloysius Chukwunta n’a opposé aucune résistance à la police, qui l’avait invité à se présenter à son bureau. Il n’a pas été informé des motifs de sa détention et n’a pas eu le droit de discuter avec son avocat, qui a pris connaissance de la situation par des amis d’Aloysius. Ces derniers s’étaient déjà mobilisés avant son arrestation et avaient lancé une pétition en sa faveur. Les signatures collectées ont été envoyées au Conseil d’Etat et au Grand Conseil pour qu’ils se saisissent du dossier d’Aloysius Chukwunta et ordonnent au SPM de régulariser sa situation dans le cadre des cas de rigueur.
La prison
Le mardi 6 mars 2012 est un jour inoubliable dans la vie d’Aloysius. «La police m’avait demandé par téléphone de me présenter à son bureau à 6h30 du matin. Je m’y suis rendu sans savoir que j’allais être mis en prison, raconte-t-il. Le SPM, de connivence avec le juge du Tribunal cantonal, avait déjà ordonné mon arrestation à l’insu de mon avocat, et sans que j’en sois préalablement informé. Une fois arrivé au bureau de la police, poursuit-il, on m’a conduit tout de suite en prison. Je devais me rendre au travail ce matin-là et je n’ai pu aviser ni mon employeur ni mes collègues de travail ni mon avocat. J’ai été pris en otage et immédiatement mis en prison. Pourtant, le SPM, qui a ordonné mon arrestation, savait très bien que j’avais déjà déposé un recours auprès du TAF», précise-t-il en s’insurgeant contre cette procédure qui déshonore les institutions démocratiques. «Aujourd’hui, on me force à signer une lettre de retour tout en sachant que je suis en attente de la réponse du TAF. Je ne sais pas quoi faire. Je me sens vraiment harcelé et traité comme un criminel. Je trouve cela scandaleux et inadmissible dans un pays démocratique comme la Suisse», commente-t-il en déplorant l’absence d’organisations de défense des droits des migrant·e·s en Valais.
Permis de séjour refusé
Tchakou Koffitsé, originaire du Togo, vit une situation similaire: «Je vis une sorte de répression administrative», nous raconte-t-il. «Je n’ai plus aucune confiance dans la démocratie européenne. Elle est un mythe au même titre que la fameuse tradition humanitaire de la Suisse.» Et d’ajouter: «Je vis en Valais parce que je n’ai pas d’autre choix», avant de nous raconter son calvaire. Après avoir vécu plusieurs années en Valais et y avoir travaillé, Tchakou s’est marié avec une Suissesse. Au bout de quatre ans de vie conjugale, il a finalement été débouté de la procédure de naturalisation et s’est vu refuser le renouvellement de son permis de séjour pour cause de divorce. Tchakou s’est également vu refuser le droit de se faire soigner en Suisse. Malgré les multiples interventions de son employeur et de son médecin, le SPM a décidé qu’il devait quitter la Suisse sans même pouvoir récupérer ses cotisations au deuxième pilier et à l’AVS.
Des lettres sans réponse
Désemparé, il s’est tourné vers son employeur et son médecin afin qu’ils interviennent en sa faveur. Le 18 mai 2011, l’employeur de Tchakou a adressé une lettre au SPM qui dit ceci: «Cet employé occupe chez nous un travail que peu de Valaisans, nos concitoyens, acceptent. Cet homme de confiance, sérieux et très agréable avec notre clientèle, gagne sa vie sans l’aide des services sociaux. Nous ne comprenons pas un tel acharnement à le renvoyer.»
Le médecin et l’avocat de Tchakou n’ont pas non plus réussi à convaincre le SPM malgré les faits objectifs qu’ils présentaient. Dans sa lettre du 30 mars 2011, le médecin du Centre Hospitalier du Centre du Valais (CHCVs) interpellait le chef du SPM en ces termes: «Je vous prie de trouver ci-après mon avis concernant le renvoi différé de M. Tchakou Koffitsé pour des raisons humanitaires. Je vois actuellement deux raisons pour retarder cette échéance: d’une part, il a été opéré récemment et est sous un traitement […] pour lequel il doit avoir un contrôle régulier chaque quatre à six semaines. Ce traitement est modulable en fonction des résultats et est difficilement imaginable dans de bonnes conditions dans son pays. D’autre part, il souffre d’une affection […] qui justifie l’injection régulière chaque semaine d’un traitement.» Dans un courrier daté du 1er avril 2011, le CHCVs précise ne pas être rassuré sur le fait que le patient aura un spécialiste en cardiologie pouvant effectuer un contrôle approprié et au besoin procéder à d’autres examens approfondis dans son pays d’origine.
L’avocat de Tchakou a également envoyé plusieurs lettres bien argumentées, sans résultat. Dans une lettre du 17 mai 2011 adressée au chef du SPM, il écrit: «La situation de Tchakou est documentée par des médecins dont l’objectivité ne peut être remise en cause, je vous prie une dernière fois d’autoriser Tchakou à demeurer en Suisse pour motifs humanitaires.» Malgré toutes ces lettres, le SPM est toujours resté inflexible. Bien que l’ODM ait suspendu provisoirement son expulsion, Tchakou ne sait pas ce que l’avenir lui réserve.