Les communautés indigènes, particulièrement bien représentées dans les Etats d’Oaxaca, du Guerrero et du Chiapas, sont parmi les plus pauvres du Mexique. Paradoxalement, les ressources naturelles y abondent, mais sont largement exploitées par les multinationales. Les populations autochtones et paysannes ne sont généralement pas consultées lorsque de grands projets miniers sont mis en place sur les terres où elles vivent et n’en retirent aucun profit. Quand elles se mobilisent et s’opposent aux multinationales pour revendiquer leurs droits à la terre et à l’eau, qui sont des ressources essentielles à leur survie, leur résistance est réprimée par les autorités.
On assiste à une criminalisation de la protestation des défenseurs et défenseuses des droits humains et des mouvements sociaux. Stefan Suhner, le coordinateur de PROPAZ Chiapas Suisse estime que «ces dernières années, la criminalisation des mouvements de protestation a augmenté sous couvert de la lutte contre la criminalité et le trafic de drogue. Les défenseurs des droits humains qui s’opposent aux grands projets sont arrêtés, incarcérés suite à des accusations forgées de toutes pièces, menacés et même assassinés...»
Divisions et affrontements
Selon Jamie Kneen, porte-parole de l’ONG canadienne Mines Alerte, «cent nonante entreprises minières ayant leur siège au Canada sont actives au Mexique.» L’une d’elles, Fortuna Silver Inc., basée à Vancouver, exploite le gisement d’or et d’argent sur la municipalité de San José del Progreso, à quarante-sept kilomètres de la ville d’Oaxaca, via sa filiale Cuzcatlán. Son arrivée a exacerbé les tensions au sein de la communauté, notamment avec les autorités municipales qui détiennent le pouvoir politique.
Tout a commencé en 2006, quand le maire de l’époque a octroyé une concession minière sans consulter la population. Depuis, la situation n’a cessé de dégénérer. Une partie de la population, opposée à la mine, craint notamment la pollution de l’eau et de la terre, et le détournement des sources d’eau au profit de l’usine. Elle a manifesté à de nombreuses reprises et bloqué l’accès à la mine pendant quarante jours en 2009. Plus de sept cents policiers de l’Etat et fédéraux armés, accompagnés de chiens et d’un hélicoptère, sont violemment intervenus pour disperser les manifestant·e·s.
En janvier 2012, Bernardo Méndez, un membre de la Coordination des peuples unis de la vallée d’Ocotlán (CPUVO), opposé à la mine, est criblé de balles par la police municipale lors d’une manifestation. Deux mois plus tard, le 15 mars, le leader de la CPUVO, Bernardo Vásquez, est abattu sur la route qui le mène à San José del Progreso. Depuis 2008, il ne cessait d’alerter les autorités de l’Etat d’Oaxaca et les autorités fédérales sur les risques d’affrontements violents au sein de la communauté suite à l’arrivée de Fortuna Silver Inc., qui a débuté ses activités sans
consulter la population locale. Il a également dénoncé à plusieurs reprises le fait que l’entreprise finançait des groupes armés dans la communauté. Après la mort du leader de la CPUVO, une coalition d’organisations de défense des droits humains a diffusé un communiqué dans lequel elle accuse l’entreprise minière et le président municipal de San José del Progreso d’être directement responsables de la mort de Bernardo Vásquez.
Le 16 juin dernier, deux membres de la CPUVO ont à nouveau été blessés par balle devant la mairie de San José del Progreso. «Bertín Vásquez Ruiz a été blessé à l'estomac. A l’hôpital public où on l’a d’abord emmené, on ne lui a pas retiré la balle. Quarante-huit heures plus tard, il a dû consulter un médecin privé pour se faire soigner. Ce qui signifie que les autorités ne peuvent même pas garantir aux défenseurs des droits humains d’être correctement soignés. Mais le plus grave, c’est que tous ces crimes restent impunis. Deux personnes seulement ont été arrêtées. Et il n’y a aucune volonté du procureur adjoint de l’Etat d’oaxaca de faire la lumière sur ces événements», déclare Phillip Gerber qui travaille pour Educa (service pour une éducation alternative) à Oaxaca.
L’or et l’argent à tout prix
Toute cette violence n’altère en rien la détermination de Fortuna Silver Inc. qui prévoit même d’étendre ses activités. Son site internet précise que la construction du site a pu être terminée dans les temps, avec un investissement de cinquante millions de dollars. En 2012, la mine devrait produire 1,7 million d’onces d’argent et quinze mille onces d’or. La société prévoit de s’étendre et, une fois achevée, la mine pourra produire 3,2 millions d’onces d’argent et vingt-cinq mille onces d’or. La position officielle de l’entreprise est qu’elle n’est en rien responsable de cette violence due à des luttes de pouvoir locales. Pour le moment, elle est contrainte d’amener l’eau nécessaire à l’exploitation de la mine par camion. Stefan Suhner remarque que «généralement, les entreprises minières canadiennes agissent avec une grande liberté et en toute impunité. Les autorités mexicaines n’ont ni la volonté ni le pouvoir de les contrôler.» Plusieurs entreprises sont accusées «d’acheter la paix sociale» en rétribuant les autorités à différents niveaux. Dans le cas de l’entreprise Blackfire Exploration Ltd., basée à Calgary, une coalition d’ONG canadiennes, dont Mines Alerte,a même pu prouver que des versements mensuels pour un total d’au moins dix-neuf mille dollars canadiens (environ dix-huit mille francs suisses) ont été versés sur le compte privé de Julio César Velásquez Calderón, alors maire de Chicomuselo. Documents bancaires à l’appui, l’affaire a été dénoncée à la gendarmerie royale du Canada (GRC, police fédérale et provinciale canadienne). Deux ans plus tard, les autorités canadiennes ne se sont toujours pas prononcées. L’entreprise, qui exploite une mine de baryte – utilisée par l’industrie pétrolière – à ciel ouvert, a été contrainte de suspendre ses activités en 2009, suite à l’assassinat d’un activiste environnementaliste et l’arrestation de six employés de la mine. Pourtant très récemment, le journal national La Jornada a laissé entendre que l’entreprise continuait ses activités au Chiapas de manière clandestine, dans une municipalité voisine.