Au centre, la femme du journaliste et dessinateur de presse sri-lankais Prageeth Eknaligoda, qui a disparu depuis janvier 2010. © Vikalpasl
Au centre, la femme du journaliste et dessinateur de presse sri-lankais Prageeth Eknaligoda, qui a disparu depuis janvier 2010. © Vikalpasl

MAGAZINE AMNESTY Sri Lanka La presse muselée

Article paru dans le magazine AMNESTY, n°70, publié par la Section suisse d’Amnesty International, août 2012.
Au Sri Lanka, la fin du conflit avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul en 2009 n’a fait qu’empirer la situation de la liberté des médias. Souvent contraint·e·s à l’exil ou à l’autocensure, les journalistes affrontent sans cesse les représailles du gouvernement de Mahinda Rajapakse.

Autrefois vibrante d’activité, la presse sri lankaise est aujourd’hui solidement muselée. Avant 2009, la situation était déjà préoccupante, mais la fin de la guerre n’a fait qu’accroître les difficultés et les dangers rencontrés par les journalistes. Pour preuve, le Sri Lanka se situe actuellement en 163e position sur 179 pays dans le classement sur la liberté de la presse de Reporters sans frontières. Alors même que les restrictions sur la divulgation d’affaires militaires ou policières ont été officiellement levées en août 2011, écrire sur ces sujets peut toujours entraîner de lourdes conséquences. De plus, impliqué dans de nombreuses affaires de corruption, le gouvernement abuse de ses pouvoirs pour empêcher qu’elles ne soient rendues publiques.

Depuis l’arrivée au pouvoir du président Rajapakse, en 2005, neuf journalistes ont été tués, en toute impunité. Une grande partie des journalistes a dû quitter le pays. D’autres, pour se protéger, s’autocensurent. Le président lui-même n’hésite pas à agir. En juillet 2011, il a personnellement menacé par téléphone l’éditeur du Sunday Leader pour avoir publié un article sur des fonds détournés par lui-même et son fils aîné, membre du Parlement. La situation est loin de s’améliorer. Ces derniers mois, les attaques envers les journalistes se sont intensifiées.

Même en exil, les journalistes sri lankais·es subissent la hargne du gouvernement. Lors de la 19e session du Conseil des droits de l’homme de l’Onu en février 2012, une enquête sur le non-respect du droit humanitaire international durant la guerre au Sri Lanka a été demandée. Le gouvernement a entamé une campagne de propagande contre les Sri Lankais·es présent·e·s à cette session. La radio-télévision d’Etat n’a eu de cesse de les décrire comme des traîtres·ses et des terroristes lié·e·s aux tigres, les discréditant ainsi aux yeux du public et rendant leur retour au pays certainement plus dangereux. Se trouvait parmi eux, notamment, la femme de Prageeth Eknaligoda, journaliste et dessinateur disparu depuis janvier 2010, qui se bat pour connaître le sort de son mari. En juin 2012, Tiran Alles, parlementaire de l’opposition, a licencié l’éditeur du journal Ceylon Today, dont il est le propriétaire, pour avoir refusé de publier des articles politiquement biaisés. Tant la répression de l’Etat que le manque d’indépendance des éditeurs face aux dirigeants des journaux torpillent la liberté de presse.

Censure sur internet

Internet n’est pas épargné. Des locaux de sites d’information ont été brûlés et attaqués. En novembre dernier, le Ministère de l’information a annoncé que tout site d’information portant sur le Sri Lanka devait dorénavant s’enregistrer auprès du Ministère. Depuis, des sites d’information majeurs, tant cingalais que tamouls, ont été bloqués par Sri Lanka telecom, entreprise étatique, et Dialog axiata PLC, un fournisseur d’accès internet privé. Pour avoir accès à ces sites, il faut dorénavant passer par un serveur proxy, ce qui limite le nombre de lecteurs. Le cas de quatre journaux en ligne bloqués a été amené devant la justice, mais la Cour suprême a rejeté le cas.

Malgré le manque critique de liberté de la presse au Sri Lanka, le tableau n’est pas tout noir. D’après le rédacteur en chef de Lanka-e-news, site internet bloqué, le nombre de journalistes et d’informateurs a augmenté suite à l’incendie des bureaux du journal. D’après lui, «cela confirme le besoin urgent des Sri Lankais d’avoir accès à une information indépendante». Cela traduit probablement aussi une résistance au pouvoir répressif de Rajapakse, laissant espérer une amélioration de la situation dans le pays.