Amnesty : La base de données Land Matrix répertorie plus de mille deux cents cas d’acquisitions de terres agricoles par des gros investisseurs. Ces investissements soulèvent de violentes critiques. De telles transactions ont-elles aussi des aspects positifs ?
Markus Giger : On entend régulièrement, notamment de la part de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation (FAO), qu’il faut investir davantage pour le développement durable dans les pays du Sud, en particulier dans les zones rurales. Les pouvoirs publics et l’aide au développement ne peuvent pas tout faire, il est donc nécessaire de recourir aux capitaux privés. Investir dans des terres peut avoir des aspects positifs, si certaines conditions sont remplies.
Pourquoi des Etats comme l’Ethiopie ou l’Indonésie cèdent-ils des parts de leur territoire à de gros investisseurs étrangers ? Les terres les plus fertiles sont ainsi souvent soustraites à la production indigène.
Certains Etats possèdent des immenses surfaces très faiblement peuplées. Ils souhaitent en tirer davantage, mais n’en ont pas les moyens. Il leur manque les capitaux nécessaires pour installer des systèmes d’irrigation, acheter des fertilisants. A leurs yeux, les investissements dans les terres offrent une possibilité de défricher ces terres et ils espèrent créer des emplois à travers l’augmentation de la productivité.
Le gouvernement éthiopien justifie le déplacement de dizaines de miliers de personnes par le fait que les gros investisseurs vont moderniser l’agriculture. Est-ce que les petit·e·s paysan·ne·s profiteront de cette modernisation ?
C’est la grande question. Les modèles dits d’agriculture contractuelle montrent la voie : ils se fondent sur une unité de production centrale à laquelle les paysans sont liés par contrat et qui leur offre un appui, par exemple en mettant à disposition des machines ou des semences. Les paysans peuvent ainsi produire tout en ayant la garantie d’écouler leur production. En Indonésie, tout un pan de l’économie repose sur des plantations qui ont toujours attiré les investisseurs étrangers. Dans certains projets, l’Etat a fixé une part maximale qui pouvait appartenir à l’entrepreneur, par exemple la moitié des terres. L’autre moitié a alors été mise à disposition de paysans sous contrat. Les villages concernés ont ainsi pu profiter des infrastructures, des routes d’accès et des usines de transformation des denrées.
A quelles conditions les investissements portant sur de grandes surfaces agricoles peuvent-ils bénéficier aux populations locales ?
Il y a des tentatives pour définir ce que sont des investissements responsables. Ceux-ci impliquent notamment que la population concernée soit associée aux processus de décision. Elle doit pouvoir donner son avis sur le découpage des parcelles ou le choix des investisseurs.
Les gouvernements devraient-ils également veiller à ce qu’une part des denrées produites dans ces grandes exploitations restent dans le pays ?
Oui, bien sûr. De nombreux pays africains doivent importer de la nourriture, il serait donc plus judicieux d’alimenter les marchés locaux. Certains investisseurs ne produisent d’ailleurs pas pour l’étranger, mais pour le marché local, car ils gagnent ainsi davantage qu’en payant des coûts de transport élevés pour exporter leurs marchandises.