Des membres du parti Aube dorée commémorait la chute de l'Empire de Constantinople au mois de mai 2013. © STR/AFP/Getty Images
Des membres du parti Aube dorée commémorait la chute de l'Empire de Constantinople au mois de mai 2013. © STR/AFP/Getty Images

MAGAZINE AMNESTY Grèce Les autres victimes de la crise

Article paru dans le magazine AMNESTY, n°74, publié par la Section suisse d’Amnesty International, août 2013.
Dans son travail photographique, Stephanos Mangriotis s’intéresse à l’immigration et à la notion de frontière. Il a passé un mois dans sa ville natale, Athènes, à recueillir les témoignages des victimes de la violence de l’extrême droite. Par Stephanos Mangriotis

En Grèce, le 17 juin 2012, le parti de l’Aube dorée remporte sept pour cent des suffrages aux élections législatives et bénéficie d’un groupe parlementaire de dix-huit députés. L’idéologie de ce parti d’extrême droite est ouvertement fasciste et ses membres ne le cachent pas quand ils saluent, main levée, l’arrivée de leur chef Mihaloliakos. Régulièrement, les membres de l’Aube dorée organisent des actions «coup-de-poing» : des soupes populaires de rue réservées aux Grecs, des rapts et démolitions de marchandises de migrants vendeurs de rue ou des expulsions de squats de migrants. En pleine crise économique et sociale, la population n’a plus confiance dans le gouvernement. Cette politique violente, directe, a conquis une partie importante de l’opinion publique. Avec la moitié des policiers qui a voté pour l’Aube dorée et une partie de l’Eglise orthodoxe de son côté, l’idéologie véhiculée par le parti devient presque «légitime».

Des migrants, avec ou sans papiers, sont quotidiennement victimes d’attaques dont les coupables ne sont jamais retrouvés, ni condamnés. Javet Aslam, président de la communauté pakistanaise, estime qu’il y a eu sept cents à huit cents victimes d’attaques racistes ces deux dernières années.

Ahmet : «Je me suis dit : aujourd’hui on va mourir.»

Il est propriétaire d’une poissonnerie à Perama (banlieue ouest d’Athènes) depuis des années. C’est le premier poissonnier égyptien du quartier et il entretient de bonnes relations avec tout le monde. Le 12 juin 2012, Ahmet dort chez lui avec son frère, ses deux fils et un ami qu’il héberge. À trois heures du matin, il se lève soudainement parce qu’il entend des cris et des bruits devant sa maison. Quand il regarde par la fenêtre, il voit dix hommes arriver en voiture et à moto. Ils sont habillés en noir et l’un d’eux porte une veste sur laquelle sont imprimées les lettres de l’Aube dorée.

«Ils ont jeté un extincteur dans la maison. Une fois la fenêtre cassée, ils ont jeté des pierres et tout ce qu’ils trouvaient. Même un pot de peinture. Quand je les ai entendus crier et taper, je me suis dit : aujourd’hui on va mourir, c’est sûr.»

Son ami Abouzed, qui dort sur la terrasse de la maison, est brutalement attaqué avec des barres de fer et, selon Ahmet, «ils l’ont laissé parce qu’ils pensaient qu’il était mort. Son visage était tellement détruit qu’on ne pouvait pas croire qu’il allait s’en remettre.»

Par la suite, la police a arrêté six personnes qu’Ahmet a identifiées plus tard au poste. Ahmet et son ami ont porté plainte mais, le jour du procès, Ahmet n’était pas présent par peur des deux cents militants de l’Aube dorée rassemblés devant le tribunal. Ahmet a de fortes suspicions. Selon lui, l’attaque aurait été instiguée par un poissonnier grec du quartier qu’il a déjà vu vendre des drapeaux et des t-shirts de l’Aube dorée sur le marché.

Asif : «Maintenant, je ne reste plus dehors la nuit.»


Le matin du 20 décembre 2012, comme tous les jours, il monte dans le bus 820 pour se rendre à son travail dans le quartier de Keratsini, dans la banlieue ouest d’Athènes. Au premier arrêt, deux hommes montent et commencent à le regarder méchamment. Quand il leur demande pourquoi ils le regardent ainsi, l’un d’eux se rapproche et, collant sa tête sur celle d’Asif, lui dit : «C’est toi qu’on cherche, descends avec moi au prochain arrêt !»

«Je lui demande : pourquoi ? Moi je veux aller à mon travail. Qui es-tu toi, pour que je descende ? Il a alors ouvert sa veste pour me montrer son t-shirt avec le logo de l’Aube dorée, je pouvais le lire clairement. Il m’a dit : maintenant, tu sais qui je suis ! Je lui ai répondu : qui es-tu ? Un fasciste ? C’est à ce moment-là qu’il m’a mis un coup de poing sur le nez ; j’avais du sang sur le visage, sur les dents. Il a continué à me frapper. Il m’a beaucoup insulté et traitéde connard pakistanais.»

Les autres passagers interviennent en criant «tu es un fasciste, casse-toi !», et le conducteur arrête le bus devant une place où il y a des policiers.

Malgré le sang sur le visage d’Asif, les policiers lui passent les menottes et l’emmènent au poste dans la même voiture que son agresseur. Asif demande à être amené à l’hôpital, où le médecin lui dit de rester à la maison pendant trois jours. Un peu plus tard, il apprend que son agresseur a été libéré sans aucune charge. Cette attaque était sûrement ciblée contre Asif, qui est délégué de la communauté pakistanaise et membre actif du parti socialiste ouvrier. Il a déjà été menacé, mais c’est la première fois qu’on s’en prend à lui physiquement. Aujourd’hui, son visage ne porte plus de traces de l’attaque, mais son esprit n’est pas tranquille.

«Maintenant, je ne reste plus dehors la nuit, j’ai très peur que quelque chose m’arrive.»

Mao : «Ils m’ont frappé très, très fort.»

Il marche dans la rue une nuit d’août 2011, pour aller dans une boîte de nuit au centre d’Athènes. Sur son chemin, il croise des policiers qui fouillent deux Africains. Il les dépasse, mais les policiers lui font signe de venir vers eux. Il fait comme s’il ne les avait pas vus, mais ils s’énervent vite et commencent à l’insulter. Ils l’immobilisent en mettant ses mains derrière son dos et le fouillent sans rien trouver. Mais les policiers ont trouvé trois boîtes de haschich par terre et demandent à Mao à qui elles appartiennent. «Si tu ne nous dis pas, on va te frapper», insistent-ils. «Je leur ai dit que je ne savais pas à qui c’était.»

En pleine crise économique et sociale, la population n’a plus confiance.

Les policiers réitèrent leur question mais personne, ni Mao ni les deux Africains interpellés, ne répond. Ils commencent alors à frapper tout le monde à coups de matraque.

«Ils m’ont frappé très, très fort, peutêtre parce que je suis rasta, ils pensaient que c’était à moi. J’ai crié, mais ils m’ont dit de me taire, de ne pas parler. Ils m’ont frappé jusqu’à ce que ma jambe se casse. J’avais déjà des menottes. Ils m’ont frappé pendant trente minutes. Puis ils m’ont enlevé les menottes et m’ont laissé.»

Après l’attaque, Mao fait comme il peut pour rentrer chez lui à pied. Deux jours après, il se rend à l’hôpital où le personnel l’examine aux rayons X et lui applique un plâtre sur la jambe. Le personnel lui refuse des béquilles car, sans assurance, il n’est pas en mesure de les payer. Il rentre en marchant sur son pied cassé. Les médecins lui disent de revenir plus tard pour refaire des examens, mais il n’a pas les douze euros que coûtent les analyses. Aujourd’hui, vu la situation en Grèce, Mao, comme beaucoup d’autres migrants, n’a pas de travail et reste la plupart du temps à la maison.

«Quelquefois, quand je sors, j’ai peur. J’ai peur des policiers. Ils étaient tout de même en uniforme.»