> AMNESTY: Vous vous méfiez du fort mouvement contre l’exploitation sexuelle des enfants dans le tourisme, pourquoi?
< Julia O’Connell Davidson: C’est l’apparent consensus autour de la question que je trouve suspect. Vous pouvez rassembler beaucoup de gens, tous vous diront qu’il est faux d’abuser sexuellement d’un enfant. Mais on omet les facteurs qui se trouvent derrière l’implication des enfants dans ce commerce. Si on examine ce qui explique leur présence dans le commerce du sexe dans les régions touristiques, il n’y a pas d’accord. Les gens ont des idées très différentes à propos du bien-fondé du développement touristique, de la justice globale ou des causes de l’inégalité.
> Quelle est votre vision à ce propos?
< Les discours à propos du tourisme sexuel impliquant des enfants simplifient les choses à outrance, alors qu’il y a des différences importantes en fonction des situations. Le phénomène du pédophile qui voyage parce qu’il sait que son pouvoir économique et la faiblesse de certains Etats lui procureront un accès à des enfants de cinq ou six ans peut être combattu par une police plus forte, de meilleures enquêtes et la poursuite en justice de ce type d’individus. C'est ce phénomène qui retient la plus grande attention parce qu'il choque. Mais il ne représente qu’une petite partie du tableau. Toutes les catégories d’enfants sont impliquées dans le tourisme sexuel, y compris des adolescents qui ont trouvé là la meilleure façon de gagner de quoi vivre.
< Il est donc inexact de dire que deux millions d’enfants sont exploités sexuellement dans le cadre d’activités touristiques?
< Je pense qu’il est faux d’imaginer que deux millions d’enfants sont exploités par des touristes pédophiles. Dans ce domaine, je serais d'ailleurs méfiante envers n’importe quel chiffre. Ce genre de statistiques est extrêmement difficile à faire. Il ne s’agit pas de minimiser le problème, mais ces chiffres en déforment les contours, et donc les causes.
> Est-ce à dire que le tourisme n’est pas souhaitable dans certains pays?
< Regardez comment le développement touristique s’est fait: dans les pays endettés, il a été encouragé par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Les pays ont investi lourdement dans le type d’infrastructures que les touristes veulent, pas celles dont les gens auraient besoin. La part de réserves pour les prestations sociales, la nourriture, s'en est trouvée encore réduite. Ce développement donne l’avantage aux grandes entreprises touristiques, pas aux petites entreprises locales. Les grands groupes ne fournissent pas de travail pour la population locale, sauf dans des emplois très mal rémunérés et incertains. Il y a des opportunités – y compris pour les enfants et les moins de dix-huit ans – uniquement dans l’économie informelle. Le sexe est une des choses qui peut être vendue probablement pour le plus d’argent. En un sens, c’est donc un sous-produit inévitable du développement touristique. Mettez côte à côte les très privilégiés et les très pauvres. Faites-le dans un contexte où de la publicité est faite dans des termes faisant appel à la fantaisie néo-coloniale, avec un touriste traité comme un roi, dans le luxe, sans respect envers les personnes et les cultures locales: vous obtenez l’exploitation.